samedi 10 novembre 2012

SADE - PROMISE


SADE - PROMISE (1985)

"Diamond Life" affichait le rare défaut d'une immense qualité, la propension à générer ses propres standards comme une matrice humaine et artistique. La formule était bien rodée. Mieux, elle s'exprimait avec une sincérité sans faille. Mais le registre soul, celui de l'émotion vocale notamment, pouvait s'y sentir un peu à l'étroit. La déchirure, personnifiée par "Sally", montrait encore timidement sa cicatrice. La musique ouvrait sur d'autres horizons mais se plaisait à rester entre quatre murs. Il fallait poser les bases tout en marquant les esprits. Restait encore à s'émanciper d'une maîtrise dont l'insistance risquait de se révéler pesante, étouffante. Une autre maîtrise, dans l'ombre, tendait déjà la main à "Diamond Life", celle de pouvoir enfin crier ses blessures intérieures avec une intensité dramatique sans commune mesure. Ce que le rythme carré de "Smooth Operator" et son ambiance piano-bar ne pouvaient offrir à Sade, "Is It A Crime" le lui permettrait.
Avec ce joyau noir aux reflets sombres, ce ne sont plus le rythme, l'harmonie et la volonté de bien faire qui servent de socle au registre émotionnel, c'est le registre émotionnel qui inspire et qui orchestre le rythme, l'harmonie et la volonté de bien faire. Plus encore, c'est la vie intérieure qui nous irradie et tout émane de sa violence, de son désarroi et de son espérance. Tout se déploie, tout se met en place sous son impulsion, et soudain tout devient clair d'une lumière intense qui s'adoucit, guérit nos yeux après les avoir brûlés. On peut énumérer une par une les qualités musicales de l'album "Diamond Life" tout entier, on les retrouve transfigurées dans "Is It A Crime": sens du partage entre les musiciens, force d'évocation figurative et narrative, simplicité emblématique, double polarité blues et swing, goût de l'équilibre, richesse du détail. Le supplément d'expressivité personnelle se traduit par le fait que là où on avait un thème vocal ou instrumental majeur pour identifier le titre, ici on en a plusieurs. Que ce soit à la première, à la deuxième, à la troisième, à la quatrième, à la cinquième ou à la sixième minute, il y a toujours un passage fort, vocal ou instrumental, pour nous rappeler d'une manière différente que la chanson n'a pas encore tout dit. On n'a plus un dialogue privilégié entre deux instruments mené d'une certaine façon pour marquer le coup, mais plusieurs dialogues entre plusieurs instruments menés de plusieurs façons différentes. Et jamais dans l'album précédent force et douceur ne s'y étaient côtoyés avec une telle évidence ni avec autant de passion, jamais la voix n'avait conclu avec une telle majesté, une telle incandescence. Faites l'expérience, si ce n'est déjà le cas, d'aller à un concert de Sade, même plus de vingt-cinq ans après la sortie de "Promise", et vous pourrez constater en live que le moment le plus fort du concert, s'il ne doit en rester qu'un, c'est "Is It A Crime". 
Aligner onze titres comme celui-ci serait intenable. Son bonheur est d'être unique. Réitérer l'expérience serait même préjudiciable à l'ambition narrative du projet musical. Il y a encore tant de choses à dire, à raconter. C'est la promesse. Après les grondements dans le ciel, la pluie, comme un clin d'oeil, sert d'introduction et de conclusion à "The Sweetest Taboo", un des plus beaux hits de Sade, qui par sa linéarité aurait déjà pu figurer sur l'album précédent, n'étaient une légèreté accrue dans le rythme et une subtilité plus prononcée dans les arrangements qui nous montrent la différence, ce qu'est une jolie chanson, toute simple, à la manière de "Promise". Dont acte. Ressent-on, pour autant, une transition brutale? Nullement. L'orage a pu éclater; si la pluie, fine, se fait caressante, c'est le signe d'un soulagement et d'une libération. Aussi "War Of The Hearts" peut-elle nous faire rêver dans la continuité du voyage. C'est la version douce d'une histoire dans l'histoire, d'une poésie sonore qui se renouvelle jusqu'à la dernière parole, jusqu'à la dernière note. A ce stade, on est déjà tellement loin, comme plongés dans une profonde contemplation, que quelques notes de piano suffisent, au coeur de la deuxième minute, pour nous révéler des paysages intérieurs insoupçonnés, dans l'envoûtement des longues nappes vocales et des cuivres chaleureux. "You're Not The Man" leur donne un prolongement mélancolique, c'est le moment d'une plongée dans le blues annonçant "Jezebel", fille ou soeur spirituelle de "Sally" et dont les accents langoureux nous donnent encore plus envie de vibrer pour elle, peut-être tout simplement parce que "Jezebel" va encore plus loin que "Sally" dans la tristesse et dans la gentillesse qui lui survit. Son oppresseur désigné pourrait se révéler sous les traits de "Mr. Wrong", type masculin rappelant celui du calculateur ingrat, qui jouait déjà avec les coeurs dans "Smooth Operator". Les parties a cappella, au début et à la fin, marquent une rupture pour mettre la voix féminine en valeur dans une situation quasi théâtrale où il s'agit de dénoncer l'intrus et d'encourager la jolie fille à s'enfuir.
On ne le rappellera jamais assez, Sade est un groupe et, pour la première fois, recourt au procédé typiquement jazz du titre instrumental, "Punch Drunk" en l'occurrence, parmi les titres vocaux pour souligner l'esprit fraternel qui anime l'ensemble du groupe, après avoir souligné la voix de Sade Adu dans "Mr. Wrong". Passé cet intermède feutré, c'est un élan résolument funk et optimiste qui relance l'album: "Never As Good As The First Time", à rapprocher de "Sweetest Taboo" de par son aspect entraînant et sa légèreté. Un titre lumineux, indispensable à l'équilibre de l'opus. Et puis c'est une nouvelle pièce maîtresse qui fait son apparition dans l'univers musical de Sade avec "Fear": l'Espagne, terre aride et passionnée, qui attirait déjà la chanteuse bien avant qu'elle ne décidât de s'y établir. Elle y chante en partie en espagnol, sur des notes de guitare andalouse, une mélodie d'une profondeur intense, suggérant les relations secrètes qui unissent le blues américain et la nostalgie latine. Cette transition s'impose d'elle-même, contre toute attente, un peu à la manière du Miles Davis de "Sketches Of Spain". Cette chanson, "Fear", d'une beauté bouleversante, offre des passages rythmiques puissants qui n'ont rien à envier à "Is It A Crime", comme un écho lointain sur une terre porteuse de nouveaux espoirs, espoirs du refuge dans la quête d'une intimité et d'une authenticité plus grandes. "Tar Baby", dans un habile crescendo, passe de la tristesse au refrain dansant, avant de laisser "Maureen" conclure sur un ton désabusé mais heureux. Promesse tenue. (DHT).


TRACKLIST :

A1Is It A Crime6:18
A2The Sweetest Taboo4:35
A3War Of The Hearts6:47
A4Jezebel5:30
B1Mr Wrong2:50
B2Never As Good As The First Time5:01
B3Fear4:05
B4Tar Baby3:58
B5Maureen4:22

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