EURYTHMICS - Touch

EURYTHMICS - TOUCH (1983)

RCA ‎– PL 70109 +

RCA PLP 70109 picture disc.

Touch passe pour être l'héritier de Sweet Dreams. On y trouve même une violence supplémentaire qui n'était que latente dans l'album précédent. Cette violence s'est développée et remplit une bonne partie de l'album. On subissait plus les événements qu'on ne les affrontaient. Avec Touch souffle un vent de révolte et les mots trouvent une force inemployée ailleurs. Annie est au combat (la jaquette est assez explicite), et si elle en sort parfois vaincue, elle ne démérite pas. C'est aussi et surtout un album plein de contrastes. Il semble qu'Annie n'avait pu exposer tous ses sentiments dans l'album précédent. Avec Touch, c'est chose faite. Contraste par les textes et la musique. Alors que Sweet Dreams et In the Garden présentaient une certaine unité, Touch est tout à fait différent. Comment comparer Right by your side à Regrets par exemple ? La seule unité, ô combien immense d'ailleurs, c'est la qualité. Cette qualité, on la retrouvera aussi dans 1984.

Here comes the rain again ouvre l'album de magnifique manière. Tant la musique que les paroles, tout est d'une richesse étonnante. Annie a des choses à dire et aidée de Dave, elles sont dites de très belle manière. C'est une chanson pleine d'espoir, de sincérité et d'amour qui, comme des milliers de gouttes de pluie, vous pénètre jusqu'aux os. Enfin, tout l'amour qu'elle porte en elle est prêt à être partagé. Bien sûr, il faut attendre le retour de l'autre (on pensera à It's all right (baby is coming back)) mais ce n'est plus un étranger. A la différence de Love is a stranger, les souffrances qu'apporte l'amour ne sont dues qu'à l'impatience et ne provoquent plus de cruelles blessures. En employant une force naturelle, l'eau, l'amour montre sa puissance et comme la mer, ne peut être dompté. Les forces naturelles, l'eau et le vent, sont donc présentes dans la superbe vidéo tournée en Ecosse. Dans un climat crépusculaire où s'agitent la mer et le vent s'illustre l'amour plein de force retenue. La lanterne qu'Annie tient à la main symbolise l'espoir. L'espoir qui vous tient éveillé toute une nuit, l'espoir qui vous éclaire et vous guide. Bientôt, à l'aube, arrivera l'être aimé, signe d'un jour nouveau.

Regrets me fait une curieuse impression à chaque fois que je l'écoute. La musique distille une sorte de poison qui vous rend mal à l'aise. C'est langoureux, engourdissant. La voix d'Annie a quelque chose d'autoritaire, d'insidieux, de glacial par certains côtés. Etrange et irréel.

Changement complet de registre avec Right by your side. Par son côté latino-américain, c'est une chanson où Annie semble heureuse. Enfin! est-on amené à penser. C'est rare, très rare même. Et il faudra attendre encore longtemps pour que ce bonheur, complètement extraverti, réapparaisse. Plus d'ombres, plus de nuages. Mais rassurez-vous, the Queen of Doom will be back soon.

Cool Blue, Aqua, The First Cut et No fear, no hate pourraient former à eux quatre une histoire par épisodes et servent de passerelle à l'album précédent - plus particulièrement avec Jennifer et The Walk. C'est le désenchantement , la tristesse, la peur, la descente aux abîmes, l'effroi. The First Cut enfonce le clou par rapport à The Walk = La descente aux Enfers. Ce cercle vicieux qui vous fait tomber de plus en plus bas. Les paroles sont effrayantes et vous glacent le sang. Aqua marche dans les traces de Jennifer. No fear, no hate est sans doute l'une des plus belles chansons de Eurythmics. Que dire devant de tels mots si merveilleusement mis en musique : Pas de peur, ni de haine, de souffrance, de coeur déchiré. C'est tout le contraire. Remarquez que les "No" sont chantés d'une voix différente. Ces "No" sont comme une plainte, une prière pour que tout cesse enfin. En effet, tout s'arrête grâce à la drogue, mais le calvaire reprend de plus belle lorsque ses effets disparaissent. On ne croit malheureusement pas si bien dire en employant les mots "killing gun". Comment ne pas rapprocher cette chanson à celle de Gainsbourg en 1987, Aux enfants de la chance tout aussi belle et essentielle.

Paint a rumour est un règlement de compte lorsque tout n'allait pas si bien pour "The Tourists" face aux médias.

Je finirai par une des plus belles chansons de Eurythmics : Who's that girl. Bien loin de la chanson éponyme madonnaesque. Annie s'y révèle une grande chanteuse, digne des plus grandes. Par cette torch-song, dont Billie Holiday reste la plus grande représentante, The Queen of Doom gagne ses lettres de noblesse. Toutes les qualités intrinsèques de la voix d'Annie se retrouvent ici. Le timbre de sa voix, parfois si dur et glacial, s'est transformé en miel dans une coupe de cristal. On y trouve encore cette pointe d'enfance qui lui va à ravir. Ce timbre angélique se marie tellement bien avec la mélodie de Dave, qu'il est impossible de ne pas réécouter encore et encore ce titre. Ce mélange d'amertume, de tristesse, de désespoir et de désenchantement nous montre une véritable écorchée vive - comme le fut Billie Holiday. Que dire aussi de la vidéo qui fut tournée pour l'illustrer ? C'est l'écrin qui enveloppe le joyau.

En définitive, Touch est et reste un album essentiel à qui veut connaître Eurythmics dans ce qu'il a fait de meilleur et passe pour être l'évolution logique de Sweet Dreams tout en s'en démarquant à la fois. La musique a évolué vers un son plus anglo-saxon et américain plutôt qu'européen. Autant l'album précédent s'approchait quelque peu de Kraftwerk, autant celui-ci s'approche de Bowie et de Blondie. L'apport d'un orchestre symphonique, pour certains titres, apporte une certaine musicalité. Touch, en plus de son côté élaboré, reste un modèle par ses paroles. Cependant, il annonce déjà le génial 1984 par l'utilisation de la voix d'Annie comme un instrument faisant partie intégrante de l'orchestre et non plus comme soliste accompagné. Sweet Dreams, Touch et 1984 forment un trio unique et incomparable en ce sens qu'il prouve que la musique pop - s'il était besoin de le dire - n'est pas que de la "variété" mais peut aussi aborder des thèmes aussi graves que la drogue, la prostitution, le suicide ou la torture (mentale ou physique). ( F.Larraun).

TRACKLIST :

A1. Here Comes The Rain Again

A2. Regrets

A3. Right By Your Side

A4. Cool Blue

A5. Who's That Girl?

B1. The First Cut

B2. Aqua

B3. No Fear, No Hate, No Pain (No Broken Hearts)

B4. Paint A Rumour

Eurythmics - Here Comes The Rain Again from Friedrich Mary on Vimeo.