DIRE STRAITS - LOVE OVER GOLD (1982)
Quand on suit chronologiquement la carrière de DIRE
STRAITS, deux choses frappent totalement lorsque l’on écoute Love Over Gold –
quatrième album du groupe – pour la première fois.
La première, c’est le changement spectaculaire du son.
Les ambiances un peu Tennessee (piano-bar, rock « springsteenien ») ont été
remplacées par un son atmosphérique, parfait. Le piano sonne désormais comme un
Steinway de concert, les claviers sont des nappes éthérées, la batterie est
chirurgicale, spatialisée, nette (j’ai toujours du mal à croire que ce soit le
même Pick WITHERS derrière les fûts), la guitare sèche semble avoir été
enregistrée en direct dans notre cerveau, aucun souffle ne perturbe l’air.
Bref, nous avons quitté un saloon bon enfant pour un studio high-tech 48 pistes
matelassé.
La deuxième, c’est que c’est extraordinairement
réussi, alors qu’on pourrait facilement détester cette perte d’authenticité.
Mark KNOPFLER nous avait montré sa palette de talents : guitare bien sûr, mais
aussi chant et surtout composition. Love Over Gold, c’est la confirmation de
son ambition, qui va bien au-delà du blues/country abordé en début de carrière
: élaborer un savant mélange de paysages sonores, de phrasés guitaristiques, en
conservant un format de chansons, quitte à l’étirer (la plus courte fait plus
de 5 minutes).
« Tunnel of Love », deux ans plus tôt, avait donné une
indication en ouvrant Making Movies. Scénarisation de la chanson, nombreux
paragraphes – un peu comme dans le folk de DYLAN, que KNOPFLER produira
d’ailleurs l’année suivante sur Infidels – et déjà un morceau de plus de 8
minutes au final virtuose.
C’est bien sûr du fameux « Telegraph Road » qu’il est
question. De 8 nous passons à 14 minutes, et quel tableau mes aïeux ! Après un
lever de soleil symbolisé par une fine note de synthé, une lente intro installe
le cadre, « A long time ago, came a man on a track / Walking 30 miles with a
sack on his back », et une peinture de l’Amérique prend forme, le rêve, les
douleurs et l’accélération de sa chute. Tout y est : force narrative, mélodies
parfaitement amenées, et long solo comme dernier chapitre de l’histoire au lieu
de n’être qu’un plaisir onaniste de guitar hero. Les solos de KNOPFLER sont,
pour certains, aussi délectables que des concertos : l’instrument central est
mis en valeur, mais l’auteur n’en oublie pas pour autant de construire un
dialogue avec les autres musiciens.
A ce quart d’heure assez bluffant succède un autre
ovni – dans le sens où rien ne l’annonçait en écoutant les trois premiers
albums. « Private Investigations » décrit en deux parties les affres du
détective privé, le chant est parlé dans la première moitié, c’est sombre et
fumeux comme le bureau de Philip Marlowe, une guitare sèche superbe dialogue
avec les marimbas dans la deuxième moitié, avant un bouquet final devenu «
classic ».
Avec cette face A et ses deux morceaux bluffants, DIRE
STRAITS change de dimension et rentre dans le gotha. Le choix de Philips, lors
du lancement du Compact Disc, d’utiliser ce groupe pour promouvoir cette
nouvelle technologie est compréhensible : ils offrent un mélange de rock, de
blues, d’ambiances, dans une palette sonore très complète et qui prend
parfaitement l’espace. L’immense public qu’il touchera désormais l’offrira en
pâture aux tenants d’un rock plus sale et plus direct. DIRE STRAITS deviendra
le symbole du groupe à succès, trop lisse, qu’il faut détester pour rester
‘vrai’, un peu comme PINK FLOYD en son temps.
La face B ne sera pas d’aussi haute volée, alourdie
par un « Industrial Disease » qui se veut satirique mais qui agace par sa
mélodie simplette et son rythme de bal populaire, qui annonce l’atroce « Walk
of Life ». Sans ce morceau, l'album était simplement parfait... « Love Over
Gold » et « It Never Rains » sont plus abouties, et finissent par des
instrumentaux extrêmement bien pensés (surtout celui de « It Never Rains »,
issu d’une lente progression de l’air de départ, qui de belle chanson légère se
transforme sans qu’on le voie venir en somptueux solo de guitare nasillarde,
aux accents mineurs diaboliques – un des morceaux complètement sous-estimés du
groupe).
Ces longueurs, cette place prépondérante des passages
instrumentaux… dites-moi, dites-moi, c’est du rock progressif ? Ah ce besoin de
mettre les artistes dans une cage avec un nom dessus. Peu importe, évidemment :
c’est du rock, et les grands groupes proposent des titres suffisamment variés
pour qu’on ne les étiquette pas à vie. Mais je dirais que la finalité ici est
très différente de celle des GENESIS ou YES, pour prendre ces exemples. Les
titres de Love Over Gold restent des chansons cohérentes, on s’écarte malgré
tout assez peu du schéma couplet/refrain. La guitare est extraordinaire et
omniprésente (nylon, dobro, électrique… KNOPFLER développe une musicalité
unique), mais les autres instruments sont très équilibrés et ne bénéficient
d’aucun solo.
A la suite de cet album majeur, la bande partira dans
une grande tournée – mais sans Pick WITHERS qui, c’était prévisible, ne se
reconnaît plus dans ce nouveau son – dont l’indispensable live Alchemy sera
tiré.
TRACKLIST :
A1 | Telegraph Road | 14:20 | ||
A2 | Private Investigations | 7:00 | ||
B1 | Industrial Disease | 5:50 | ||
B2 | Love Over Gold | 6:15 | ||
B3 | It Never Rains | 7:55 |
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