mardi 19 novembre 2013

Depeche Mode - Sounds Of The Universe



DEPECHE MODE - SOUNDS OF THE UNIVERSE (2009)
Mute - STUMM300 - 2 LP+1CD (Europe).


Il est loin, le temps des garçons coiffeurs. Plus personne ne sourit quand les Anglais, la cinquantaine passée, sortent leur douzième album : pertinent, humble et digne, d’une noirceur familière.

Depeche Mode revient aux affaires, et avec les trois quinquas de Basildon, c’est une pluie de madeleines qui se déverse. De la synthé-pop saccadée des débuts (1980) aux expérimentations gothico-indus grand public des années 90, tout le monde a un jour succombé à cette artillerie électronique de sueur et de sang. Il paraît que l’histoire se répète comme une farce, mais Martin L. Gore et ses frères d’armes, contrairement à la bande à Bono ou à Morrissey, ont, eux, toujours réussi à se régénérer et à faire de leurs fêlures un matériau passionnant. Loin de l’autocaricature et revenus d’à peu près toutes les avanies, ils livrent aujourd’hui avec Sounds of the Universe un douzième album faisant plutôt profil bas, marqué par la noirceur et l’inquiétude.

Avec le flippant single Wrong, en février dernier, Depeche Mode fournissait déjà un indice sur ses préoccupations du moment : noir c’est noir, mais avec cette fois-ci une distanciation dont il semblait incapable à l’époque de Violator, en 1990 (la clé de voûte de sa discographie, qui réconcilia à peu près toutes les tribus autour de sa rose purpurine). Wrong est le cri répété ad lib d’un groupe parvenu à la maturité et à la fortune, mais pas au repos. On a connu des singles plus putassiers : “Je suis né sous la mauvaise étoile, dans la mauvaise maison, j’ai pris la mauvaise route…”, assène un Dave Gahan remonté comme jamais. Dans le clip de ce nouveau classique de Depeche Mode (signé Patrick Daughters), on voit un homme prisonnier d’une voiture qui roule à l’envers, engoncé dans un masque de plastique. Ce Fantômas postmoderne croise les regards stupéfaits de Martin L. Gore, Dave Gahan et Andrew Fletcher avant un terrible clap de fin. Allusion au parcours d’un trio qui a lui aussi connu de sérieux dévissages, dont le plus notable reste celui de Gahan au début des années 90.

Pour mémoire, Dave Gahan a longtemps été la voix de son maître Martin L. Gore, figure tutélaire autant qu’écrasante qui, depuis les débuts, impose ses textes et ses compositions. Durant toutes ces années, il a dû subir le paradoxe cruel et à peu près unique d’être le chanteur de l’un des plus importants groupes en activité tout en demeurant le simple porteflingue des sombres mondes de Gore. Les spécialistes estiment que les premiers grains essuyés par le groupe datent du succès massif de Songs of Faith and Devotion, en 1993.
Classique valse des egos, tournées gigantesques et perte des repères, les pages de Depeche Mode se froissent. Gahan ouvre la boîte de Pandore : il se paume dans les drogues dures, amer, jaloux, instrumentalisé par un Gore muré dans sa tour d’ivoire. Le chanteur se transforme alors en junkie fantomatique pas jojo, entouré d’une bande de loulous dignes de Bret Easton Ellis. Pour couronner le tout, Andrew Fletcher, après avoir tenté de colmater les gouffres du groupe, tombe à son tour dans la dépression. Quant à Alan Wilder, il raccroche les gants pour se consacrer à son projet, Recoil.

Mais ce qui ne tue pas Depeche Mode le rend plus fort : le groupe se relève et dote sa synthé- pop sous amphètes d’architectures sophistiquées et rock dignes de péplums mystico-gothiques (Ultra, 1997). Et Gore d’explorer encore et toujours ses thèmes de prédilection : la mort, la rédemption, le mal, la domination, le péché, l’inceste – entre autres joyeusetés. Gahan ronge toujours son frein mais il comprend qu’il doit s’essayer à la composition, ce qu’il fera d’abord en solo (Paper Monsters en 2003 suivi de Hourglass en 2007), un déclic aux allures de sursaut vital bigrement cathartique. Mais Depeche Mode, c’est surtout de la musique industrielle pour tous et une spiritualité tout-terrain parfois mal comprises. Il a peut-être fallu attendre que Johnny Cash gobe à son tour l’hostie (avec sa relecture de Personal Jesus) pour que la vérité éclate auprès des plus réticents : sous leurs oripeaux synthétiques, les Britanniques constituent l’un des plus grands groupes de blues en activité.

Et dans le blues, précisément, la douleur est indissociable de l’ironie. Tout au long de Sounds of the Universe, le monstre Depeche Mode tourne en dérision son image de pleureuse rivée sur son malheur, même s’il admet qu’une Fragile Tension le paralyse depuis des années. Ailleurs, sur Hole to Feed et Miles away/The Truth Is, les sommets du disque signés Dave Gahan, enfin émancipé, réconcilié avec Gore et surtout avec lui-même, le colosse aux pieds d’argile rêve les yeux ouverts d’une sérénité bien hypothétique.

A l’instar de Björk, Depeche Mode a toujours su s’entourer de la fine fleur électronique, à qui il confie régulièrement production ou remixes en forme d’adoubement. Sur la version deluxe de Sounds of the Universe, les Suédois Minilogue envoient ainsi à des hauteurs vertigineuses le splendide gospel introït In Chains. Depeche Mode, loin de vampiriser la jeune génération, dialogue en permanence avec elle, et transcende une fois de plus sa middle-age crisis avec panache et modernité, au sommet de son electro- pop art déviante. (Les Inrocks).



TRACKLIST :

A1In Chains6:53
A2Hole To Feed3:59
A3Wrong3:13
B1Fragile Tension4:09
B2Little Soul3:31
B3In Sympathy4:54
C1Peace4:29
C2Come Back5:15
C3Spacewalker1:53
C4Perfect4:33
D1Miles Away/The Truth Is4:14
D2Jezebel4:41
D3Corrupt5:02
D4Untitled0:41
CD-1In Chains6:53
CD-2Hole To Feed3:59
CD-3Wrong3:13
CD-4Fragile Tension4:09
CD-5Little Soul3:31
CD-6In Sympathy4:54
CD-7Peace4:29
CD-8Come Back5:15
CD-9Spacewalker1:53
CD-10Perfect4:33
CD-11Miles Away/The Truth Is4:14
CD-12Jezebel4:41
CD-13.1Corrupt8:58
CD-13.2Untitled0:41




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