jeudi 11 mai 2017

Genesis - Wind And Wuthering



GENESIS - Wind And Wuthering (1976)

Avec l'album A Trick of the Tail et la tournée qui s'ensuivit, GENESIS prouva au public, passionné ou novice, qu'il pouvait largement exister sans Peter Gabriel. Alors, le groupe anglais enfila des bottes de sept lieues et nous donna rendez-vous fin décembre 1976, moins d'un an après son coup d'éclat. Il battit le fer encore chaud, il procéda par sessions avec une certaine limite de temps, et il vit que cela était bon, comme pour chaque nouvelle création. Mais l'hiver vint, le froid goba le chaud, suspendit le cours du temps et, défiant les lois astronomiques, une supernova devint constellation dans l'immensité d'un univers qui n'est autre que celui de la musique.

Le 27 décembre 1976, GENESIS publie son plus bel album, et le meilleur disque de tous les temps (vous avez le droit de ne pas être d'accord, allez en paix). Le décor tient une place importante dans sa conception, d'abord par la retraite du groupe dans le Nord-Brabant, aux studios Relight d'Hilvarenbeek, Pays-Bas (taxes trop importantes en Angleterre), et de manière plus fictive, par l'évocation d'un manoir perdu dans les landes du Nord de l'Angleterre, le Yorkshire si bien illustré à travers le chef-d'oeuvre d'Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights). Pour écouter cet album hommage nommé Vent et Hurlevent, ne perdez pas le nord ; les Antilles, la Méditerranée, l'Océanie, tout cela est un peu hors-sujet, vous l'aurez compris.

C'est ici le théâtre d'une lutte d'influence entre deux personnages. Sur quatre, les deux autres se distinguent « par discrétion » naturelle ou contrainte, entre Phil Collins qui se préoccupe de sauver son mariage et qui logiquement, participe peu à l'écriture, et Mike Rutherford, au contraire heureux, qui glisse une ballade romantique (« Your Own Special Way », second tube historique de GENESIS) tout en jouant le rôle de pilier dans la durée de sessions mouvementées. Leur apport rythmique n'en reste pas moins solide, Collins s'inspirant de ses débuts avec le groupe de jazz-rock Brand X (« Wot Gorilla? », « In That Quiet Earth ») comme il l'avait fait sur A Trick of the Tail.

Le conflit du chapitre oppose Sir Anthony de Vil-Banks (Tony Banks), le claviériste dont la confiance en soi est désormais bien établie, et Lord Stephen Hackett (Steve Hackett), le guitariste, fort de sa première expérience en solo, qui tente de prouver la même chose, mais dont l'arrivée tardive dans l'histoire et la réserve affichée au sein du groupe imposent une distance et une source de continuelle frustration. D'ailleurs, il n'y a pas que les compositions : Hackett dira bien plus tard, non sans regret, que les albums de GENESIS n'étaient jamais aussi travaillés qu'ils auraient pu l'être, enregistrés entre deux tournées et sans développement réel du travail de production, toujours recentrés sur le seul effectif du groupe et sans apport extérieur...

L'argument positif, c'est que la patte créative du noble guitariste taciturne est mieux présente ici qu'auparavant, et malgré tout, Wind & Wuthering reste l'une de ses expériences favorites. Son apport aux arrangements est plus remarquable que jamais, avec des choses parfois très simples comme son utilisation de la kalimba (piano à pouce africain) sur la partie calme de « Eleventh Earl of Mar » qu'il a écrit lui-même, ainsi que les arpèges cristallins d'autoharpe sur le deuxième couplet de « Your Own Special Way ». Les guitares héroïques décuplent la puissance de nombre de morceaux, « In That Quiet Earth », « Eleventh Earl of Mar » et le final lyrique de « All in a Mouse's Night ». Depuis 1973, son niveau de guitare classique a sérieusement progressé, on peut l'entendre sur l'introduction délicate de « Blood on the Rooftops », moins scolaire qu'un « Horizons » avec le recul, et qui marque le début d'un gros travail développé en solo par la suite.

« Blood on the Rooftops », dont le texte plus terre-à-terre est de Phil Collins (pas d'aventuriers solitaires ni de farfadets ici, il s'agit de la connexion internationale par la télévision), reste l'un des rares morceaux de l'album auquel Tony Banks ne participe pas. Autrement, il est partout, vient rajouter une splendide partie contemplative de piano Fender Rhodes au milieu de « Your Own Special Way », et introduit l'album de façon magistrale avec le thème légèrement dissonant et enchanteur d'« Eleventh Earl of Mar », plongée irrémédiable dans une Angleterre "classique" et une tempête de mauvaise saison...

Il y a cet apport aux claviers toujours unique, ces nappes de Mellotron et cette utilisation de l'ARP Pro-Soloist à la manière d'un hautbois sur « Blood on the Rooftops », ces solos farfelus et mélodiques comme sur la jam « In That Quiet Earth ». De l'orfèvre. Sans oublier les trois chansons qu'il écrit seul (près de la moitié de l'album !), le très dynamique et cartoonesque « All in a Mouse's Night », le pavé épique « One for the Vine », et la ballade « Afterglow » au goût d'éternité, héritière des « Christmas carols », chants de Noël qui rappellent que la musique religieuse reste à la base des influences musicales de GENESIS. Ces deux titres demeurent emblématiques de l'empreinte du groupe par le seul talent de son claviériste : « Afterglow » sera jouée pendant de nombreuses années en concert, et « One for the Vine », malgré son unité d'ensemble, provoque avec son pont central inattendu un de ces chocs musicaux qui marque pour toute la vie.

On écoute Wind & Wuthering comme on lit une oeuvre de littérature anglaise romantique (celle de Brontë ou une autre), les sens éveillés par la rudesse autant que la poésie. Les éléments s'opposent, la tourmente qui se lève sur « Unquiet Slumber for the Sleepers » et va crescendo pour éclater ensuite, la brise caressante de « Your Own Special Way ». Chaque partie trouve son éclat, dans l'énergie comme la finesse, les mélodies sont riches, transcendées par le chant de Collins. Prenez encore le cas d'un morceau comme « Eleventh Earl of Mar » : les riffs ravageurs de Rutherford, les breaks de batterie en tous sens, l'accalmie onirique, la mélodie de synthétiseur plaintive sur piano déroulé en ternaire par dessus une rythmique binaire... Qui fait encore de la musique comme ça aujourd'hui, et aussi bien ? Une œuvre complexe, mais unique. Le plus bel album et la plus belle pochette. What else ?

 (Marco Stivell - Forces parallèles).







TRACKLIST:
A1       Eleventh Earl Of Mar         
A2       One For The Vine  
A3       Your Own Special Way    
A4       Wot Gorilla? 

B1       All In A Mouse's Night      
B2       Blood On The Rooftops    
B3       'Unquiet Slumbers For The Sleepers... 
B4       ...In That Quiet Earth' 
B5       Afterglow




Genesis - Your Own Special Way from Friedrich Mary on Vimeo.

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