dimanche 15 juin 2014

Oasis - Definitely Maybe




OASIS - DEFINITELY MAYBE (1994)
Big Brother ‎- RKIDLP70 - (United Kingdom)


Definitely Maybe est sans conteste l'album définitif de la britpop, aussi bien que l'un des disques phare des années 90. Les médias spécialisés anglais, que l'on sait aussi prompts à l'enthousiasme qu'à un emportement excessif et parfois irrationnel, ont propulsé cette galette au rang de chef d'oeuvre inattaquable et quasi-intouchable du rock britannique. En 2006, NME l'a placé numéro un au classement des meilleurs albums anglais sur les cinquante dernières années, et le sondage réalisé en 2008 pour HMV et Q Magazine l'a intronisé meilleur album de tous les temps. Retour obligé sur un disque phénomène, à l'heure ou Dig Out Your Soul pointe le bout de son nez et va tâcher une fois encore (en vain ?) d'égaler ce glorieux modèle.

Dans le rock comme dans d'autres domaines, le talent ne suffit pas toujours à ouvrir les portes du succès, et ce sont souvent les plus forts en gueule, les plus obstinés et les plus culottés qui emportent l'adhésion au détriment des autres prétendants à la gloire.  Or, Noel Gallagher est bien de cette race de gagneurs : il possède tous les traits de caractère pré-cités à un degré prodigieux, avec en prime une propension à l'arrogance que seul son frangin est à même de lui envier. Lui, le mancunien prolo fauché, le cancre au niveau scolaire peu reluisant, l'ex-roadie groupie des Inspiral Carpets, le fanatique des Beatles, des Who et des Kinks, l'adorateur du jeu de guitare de Johnny Marr, est persuadé que sa musique, celle qu'il rumine en solitaire depuis plusieurs années, est la meilleure du monde. Quand il assiste à un concert donné par le groupe de son frère Liam en 1991, il voit immédiatement dans ces quatre énergumènes le terreau idéal pour faire germer les hits qu'il garde en gestation. C'est donc sans aucun ménagement qu'il prend son frangin et ses potes à partie : s'ils acceptent de l'incorporer dans leur formation et de lui laisser les mains libres pour le songwriting et les solo de guitare, il leur garantit de les amener aux sommets des charts britanniques et de faire de The Rain, fraîchement rebaptisé Oasis, le meilleur groupe de rock d'Angleterre. Rien que ça. Mais si de telles inepties n'engagent que ceux qui y croient, nul doute que l'orgueil démesuré de l'aîné de la fratrie Gallagher a été au moins aussi déterminant que son génie musical pour amener le combo de Manchester au plus haut niveau.

Très vite, la formule fonctionne à merveille et l'association de Noel et de Liam se révèle d'une efficacité redoutable, le premier troussant des mélodies simples mais accrocheuses, et le second les balançant à la tronche du public avec une verve et un charisme peu communs. Sur scène, Oasis balaye tout sur son passage, réinventant un rock concret et populaire en pillant sans vergogne ses glorieux ancêtres des années 60. Avec n'importe quelle autre formation, la plèbe aurait hurlé au plagiat et aurait lapidé les importuns sans attendre. Mais les Gallagher sont si sûrs d'eux, si teigneux, si imbus de leur personne et de leur musique, qu'ils parviennent instantanément à convertir même les plus incrédules. A grands coups de médiators, de riffs à forte réverbération, de larsens stridents et de vrombissements jouissifs, les instrumentistes transportent littéralement un Liam tétanisant d'intensité, scotché à son micro comme un alcoolique à sa bouteille, haranguant les foules avec une nonchalance hypnotisante, déballant des textes simplissimes comme autant de paroles d'Evangile avec une voix lancinante de rock et de nicotine, les transformant instantanément en hymnes à la jeunesse et à la vie. Avec Oasis, l'Angleterre retrouve en quelques mois le panache et l'assurance que les années 80 avaient relégués au rang de vertus optionnelles.

Pour autant, l'enregistrement de Definitely Maybe, débuté en 1994, n'est pas une partie de plaisir. Deux séances d'enregistrements sont nécessaires (entrecoupées par une courte virée défonce à Amsterdam) et se révèlent plus désastreuses l'une que l'autre. Pas moins de trois producteurs se succèdent pour tenter d'éviter au disque de virer au naufrage intégral. En cause, Noel Gallagher, encore et toujours, tellement persuadé du bien fondé de ses idées qu'il en vient à pourrir littéralement les séances d'enregistrement en imposant une surexposition des guitares qui noie complètement la rythmique et le chant. Après que Dave Batchelor, ex roadie (lui aussi) des Inspiral Carpets, et Mark Coyle, producteur notamment des Stone Roses, aient jeté l'éponge de dépit, le label Creation Records fait appel à Owen Morris pour tenter de sauver ce qui peut encore l'être. C'est là que le hasard fait bien les choses. Non content de rabattre son caquet à cette tête de con de Gallagher, Morris improvise une nouvelle technique de production visant à atteindre un rendu proche du live : le Brick Walling. Le résultat marque un précédent dans l'histoire du rock : jamais un groupe n'avait réussi à sonner comme Oasis en studio, avec un timbre de guitare ample d'une clarté impressionnante qui englobe complètement les parties vocales. A sa sortie, le disque se place instantanément comme une nouvelle référence dans le domaine de la production, et ce n'est pourtant pas la moindre de ses qualités.

L'album est un alignement ininterrompu de hits, marqués au fer rouge par une filiation pleinement assumée avec les standards des années 60, The Beatles en tête. Le songwriting ne s'embarrasse pas de poésie absconse : les textes sont concrets, directs, et s'adressent à n'importe quel quidam. Les frères Gallagher croient dur comme fer à leur talent et se voient déjà en haut de l'affiche, n'hésitant pas une seule seconde à balancer bille en tête un "Rock N' Roll Star" qui représente une véritable profession de foi, fustigeant les gens sérieux et raisonnables qui les enjoignent à retrouver la raison : "People say it's just a waste of time. When they said I should feed my head, that to me was just a day in bed". Pour Noel Gallagher, seule compte la rock'n'roll attitude : tabac, gin and tonic, belles bagnoles, tout n'est que futilité, légèreté et dérision. "Is it worth the aggravation to find yourself a job when there's nothing worth working for ? It's a crazy situation but all I need are cigarettes and alcohol !" Pas de prise de tête existentielle, pas de tendances mortifères ou de tentations destructrices : le propos est limpide, la conduite sans équivoque, le message positif. Les frères Gallagher croient en eux ("I need to be myself, I can't be no one else"), en leur personne et en leur attitude. Ce qui passe à leur portée, ils le prennent car ils ont tout fait pour l'obtenir, et tant pis pour les autres. Si l'on ajoute à cela de nombreux clins d’oeil savoureux disséminés au gré de leurs chansons (comme le yellow submarine repéré dans "Supersonic"), on obtient sans coup férir le disque le plus grisant et le plus libératoire des années 90.

Definitely Maybe est un album intense, sans aucun temps mort, et qui ne diminue le volume des amplis que sur le dernier acte acoustique, l'impayable "Married With Children" qui allie une merveille de mélodie et un texte plein d'humour et de férocité corrosive. C'est peut-être sur le plan du volume, justement, que l'on pourrait faire un reproche à ce disque : tout se joue à l'énergie, et on a parfois du mal à ne pas retrouver des redondances entre les titres, notamment sur le plan rythmique. Hormis cela, c'est du tout bon, et chaque morceau pris séparément peut se targuer de détenir un poignant potentiel d'addictivité, du shoegaze "Columbia" à l'imparable "Supersonic", de l'indolent "Shakermaker" au virevoltant "Bring It On Down", de l'évident "Cigarettes And Alcohol" au colossal "Live Forever". Liam n'a pas à se poser de question sur les éventuelles inflexions à donner à sa voix : son timbre, inimitable, se suffit à lui-même. Quant à Noel, il n'a qu'à dérouler ses partos de guitare en les bricolant un peu au gré des émotions recherchées. Son schéma directeur est extrêmement précis, et s'il se contente globalement d'utiliser les mêmes arrangements d'une chanson à l'autre, il le fait avec suffisamment d'intelligence pour qu'on n'y voie que du feu. Onze titres, onze tubes, dont l'assemblage final procure les mêmes sensations que celles d'un best-of, bardé de temps forts, d'envolées poignantes et de riffs ravageurs, mais en y ajoutant une parfaite homogénéité. Vous vous posez la question d'acheter ou non Stop The Clocks, la compil d'Oasis sortie en 2006 ? Tournez vous donc plutôt vers ce premier jet des frères Gallagher, il se révèlera de bien meilleur tenue.


Bien sûr, certaines personnes continueront à détester Oasis, et l'écoute de Definitely Maybe ne changera rien à l'affaire. En prenant le parti de suivre les frères les plus irascibles de l'histoire du rock dans leurs débuts, il faut mettre de côté son éventuelle inimitié vis à vis de ces deux têtes à claque, et se laisser convaincre par ceux qui ont pris le parti de brailler plus haut et plus fort que les autres. C'est dans cet état d'esprit que l'Angleterre s'est soudain réveillée un beau matin d'Août 1994, en se rendant compte que son rock était encore loin d'être enterré. Le disque s'est littéralement arraché dans les magasins, la passion l'a emporté sur les réticences, et de nombreux jeunes rockeurs anglais ont vu dans cette galette une fabuleuse lueur d'espoir. La Britpop venait de voir le jour, tout simplement. Rien que pour ça, Definitely Maybe, le meilleur album des forts en gueule de Manchester, mérite les éloges unanimes qu'il reçoit, encore aujourd'hui, même s'ils sont peut-être un tantinet exagérés. (Nicolas).



TRACKLIST:
A1Rock 'n' Roll Star
A2Shakermaker
A3Live Forever
B1Up In The Sky
B2Columbia
B3Sad Song
C1Supersonic
C2Bring It On Down
C3Cigarettes & Alcohol
D1Digsy's Dinner
D2Slide Away
D3Married With Children




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