PORTISHEAD
- THIRD (2008)
Mercury - 2x12" 45
RPM - Limited Edition - B0011141-01 JK02 – USA
En deux albums studio, Dummy
en 1994 et Portishead en 1997, dix-sept ans de carrière dont dix ans de silence
absolu, Portishead s'est construit une image de groupe mythique, cité jadis en
tant que source d'inspiration par un nombre incalculable de formations qui se
sont engouffrées dans la brèche trip hop ouverte par Beth Gibbons, Geoff Barrow
et Adrian Utley, avec l'aide précieuse de Massive Attack, au milieu des années
1990. Que l'on songe aux Sneaker Pimps, à Archive,Goldfrapp, Zero 7, Lamb,
Hooverphonic, Moloko, j'en passe et des meilleures. Tous se revendiquent, à un
niveau ou à un autre, du fameux groupe de Bristol, qui a ainsi été récupéré à
son corps défendant par des formations plus ou moins éphémères qui ont, petit à
petit, offert au trip hop une audience mondiale, pour ne pas dire
ultra-commerciale.
Les marketeux de tout poil,
toujours prompts à exploiter ce qui leur passe sous la main, ne s'y sont pas
trompés, comme en témoigne la fameuse publicité avec Sophie Marceau pour un
célèbre parfum, au son du tubissime "Glory Box" – un morceau aussi
envoûtant à l'époque que totalement galvaudé aujourd'hui, symbole d'une œuvre
désormais utilisée pour illustrer des cours de relaxation. A tel point que l'on
comprend parfaitement les hésitations des Bristoliens à donner suite à une
aventure qu'ils ont fini par ne plus maîtriser du tout. Avouons-le : Portishead
est devenu un nom quasiment maudit, une sorte de tarte à la crème, tant et si
bien que le terme même de "trip hop", au début de ce vingt-et-unième
siècle, a quasiment perdu toute signification.
La question est donc double
: pourquoi revenir et pourquoi maintenant ? En 2008, quand Massive Attack n'est
plus que l'ombre de lui-même après ses querelles intestines, quand les Sneaker
Pimps, qui ont entamé dès 1999 un virage electro, ne donnent plus signe de vie,
quand Morcheeba, après avoir perdu sa chanteuse, est devenu une usine à soupe
froide, quand tant d'autres groupes suiveurs ont disparu de la circulation,
quandDummy et Portishead ne sont plus que deux albums bons à écouter en voiture
? La réponse est simple : parce que Portishead a été un groupe précurseur et
qu'il voulait relever ce défi magnifique, celui de prouver qu'en évoluant dans
un même univers, il était encore possible d'inventer et de se réinventer. Pari
tenu.
Third est un album qui porte
bien son nom. Il s'agit d'un album triple. Pas un triple album : une galette,
11 titres, 49 minutes. Mais un album qui révèle trois personnalités distinctes.
D'un côté, on y retrouve un trip hop de bonne facture, relativement classique
(mais sans scratches), qui n'aurait pas dépareillé sur Dummy, avec des morceaux
comme "Hunter", "Nylon Smile" ou encore
"Plastic". Peu surprenants, quoiqu'agréables, ces morceaux
satisferont les amateurs de cette musique sombre, lente, voire neurasthénique,
sublimée par le chant plaintif de Beth Gibbons. D'un autre côté, on y trouve,
un peu plus surprenant, deux ritournelles interprétées à la guitare ou à
l'ukulélé, comme "The Rip" et "Deep Water", une petite chanson
en forme de pause entre deux titres éprouvants.
Car, ce dernier côté, cette
troisième face de l'album, c'est une musique froide, martiale, psychédélique et
expérimentale, qui tire l'auditeur vers le rock allemand de la fin des années
1960 voire le rock industriel desNine Inch Nails, illustrée par un titre en
particulier, le single "Machine Gun". Oui, Portishead revient, mais
ce n'est plus tout à fait celui que l'on a connu. Alors que l'on aurait pu
craindre le pire d'un retour après un si long silence, surtout avec une campagne
marketing aussi importante (pub à la télé, album en préécoute sur Last.fm),
impossible de ne pas se raviser en écoutant ce premier single brutal, glacial
et intransigeant, aux antipodes du tube facile auquel Portishead aurait pu
céder pour satisfaire les millions d'oreilles d'ores et déjà acquises à sa
cause. Ce morceau, extrêmement audacieux, extrêmement risqué aussi, au son
saccadé comme le bruit d'une mitraillette (d'où le titre), est pourtant une
réussite absolue, le genre de mélange chaud (la voix de Gibbons) froid (le
rythme, les nappes électroniques) dont Depeche Mode période Black Celebration
aurait pu accoucher mais dont Gore et Gahan n'auraient jamais eu le courage
aujourd'hui, trop obsédés par l'idée de caresser leurs fans dans le sens du poil.
Le genre de titre, aussi, qui aurait fait merveille dans Rez, le célèbre jeu
vidéo de Tetsuya Mizuguchi, sorti à l'origine en 2001 sur Dreamcast. Hypnotique
et envoûtant.
Plusieurs autres morceaux,
magnifiques, sont de cet acabit : "Magic Doors", véritable sommet de
l'album, magique de bout en bout ; "We Carry On", aussi lourde
qu'éblouissante, plus loin encore que ce que Radioheada pu produire sur Kid A /
Amnesiac, plus réussi, surtout ; "Threads", ultime merveille de cet
album ; "Small" et ses claviers seventies et sa batterie digne d'un
défilé militaire ; ces titres qui, chacun à leur manière, façonnent ce disque,
sans doute l'un des plus importants de l'année, cette œuvre magistralement
dense, impossible à résumer, à classer, à catégoriser. Un chef-d'œuvre, même,
dont chaque écoute révèle une nouvelle pépite. Aussi sombre et désespéré que
ces deux grands frères, mais beaucoup plus psychédélique, puissant, voire
couillu, le petit Troisième parvient aisément à les surpasser – de loin – grâce
à une maîtrise technique et une palette d'émotions beaucoup plus vastes
qu'auparavant et, surtout, grâce à une prise de risque de chaque instant. Une
réussite incontestable. (Splinter - GMD).
TRACKLIST
:
A1. Silence
A2. Hunter
A3. Nylon Smile
B1. The Rip
B2. Plastic
B3. We Carry On
C1. Deep Water
C2. Machine Gun
C3. Small
D1. Magic Doors
D2. Threads
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