Wishbone Ash – Argus
MCA Records – 250 473-1 – Europe
– 1972
Wishbone Ash, ce groupe à
l'identité unique, posé en 1966 sur les cendres de Empty Wessels, qui fait son
entrée chez MCA Records avec l'aide de Ritchie Blackmore et Derek Lawrence et
qui, savamment, opère à la jonction entre le rock et le rock progressif, n'est
pas à présenter, et je n'aurais pas cette audace. Ces informations, vous les
connaissez, vous, grands amateurs de musique passée, présente et future. Et
sinon, les détails pleuvent à foison sur la toile, jamais rassasiée. Car, que
de millions d'albums acquis par les gourmands de son et que de milliers de
concerts, pour des yeux écarquillés et des tympans avides? Je paraphrase.
Aujourd'hui, je veux parler
de ce qu'on dit souvent être la poutre maîtresse. Le révélateur de talent. La
claque dans la tronche. Argus. Enregistré en janvier 1972 dans les studios De
Lane Lea à Londres. Considéré bel et bien comme une œuvre majeure du groupe.
Plus grand succès de Wishbone Ash au Royaume-Uni. Troisième place des Charts et
169ème au Billboard (USA). Je paraphrase encore. Ce n'est ici que ce que notre
bible Wikipédia nous apprend. Pourquoi en parler à présent, quelques
quarante-six ans après ? Quelques millions de lignes derrière ? Eh bien, parce
qu'avant de coucher ces lignes supplémentaires, je n'en ai eu cure des charts,
de l'aura pressentie, ressentie, analysée ou de que sais-je encore. Et si vous
me connaissez, vous saurez que je m'en tarte toujours encore tandis que
j'écris. Je loue certes le bon sens des contemporains et des suivants qui ont
su saluer pleinement l'illustre album de mille louanges mérités. Cet Argus...
qu'il me semble avoir découvert bien avant mon âge, alors que c'était juste
dans cet hier. Pur paradoxe émotionnel, tant son écoute et son appréciation me
semblent aller de soi. J'en parle simplement parce que je l'aime. J'ai cette
envie. Moi qui l'ai découvert dans mon alcôve, moi qui m'en suis émue, dans mon
coin. Juste comme ça. Et parce que s'il y avait Un album pour tout dire, s'il
n'y en avait qu'un seul à choisir, ce serait celui-ci et nul autre, qui à lui seul,
condense tant d'essentiels. Tant de vérités. Tant d'instants. Tant de cendres.
Comme un fait exprès. Avant que ça ne se passe. Avant que je ne le vive.
Anglais, et en rien
flegmatique. Nous débutons sur les tendres arpèges de "Time Was". Un premier mot. Un premier constat. Ce « I've got to
rearrange my world. I miss you, I need you », oui. Et
trois minutes qui s'écoulent doucement, tendrement. Et sans faillir, passé ces
trois petits instants, nous sommes soudain jetés dans un rythme bien chaloupé.
Qu'on nous secoue les puces ! Mais bien volontiers, nous répond Wishbone Ash.
Mais il ne se contentera même pas de ça ! "Time Was" nous offre au
long cours de ressentir cet afflux veineux enjoué, mené notamment par cette
superbe envolée de guitare. Prémices à bien d'autres, soulignons le d'avance.
Faut que je me secoue. C'est clair. Il le faut. Poursuivons. "Sometimes in
Times" brosse ensuite, et à elle seule, ce qui fait tout le charme de
cette auguste composition. Les paroles pourraient se prêter à une profonde et
triste mélancolie, les groupes de funeral doom ne se priveraient pas de nous
flageller sur cette matière offerte, et quelque chose dans la musique pousse en
effet véritablement la gorge à se nouer. Mais pourtant, Wishbone Ash se saisit
de nous différemment, dans cette rythmique qui donne la chair de poule, dans
cet élan qui propulse, dans ces « lalala
» enthousiasmants, que de fougue, que de pulsion pressante vers le « j'm'en
fous, j'ai envie d'exploser et de tourbillonner », partant de paroles pourtant
riches d'émotions amères, que peu d'entre nous n'ont pas déjà éprouvées. « Sometime world, pass me by again - Carry you, carry
me, away ». Cette tension d'un instant. Une alchimie, inédite encore,
un transport immédiat. Alors ce "Blowin' Free", alors ces accents
introductifs d'une nonchalance toute arrogante. Un pur bonheur. Toujours cet
engouement génial qui dépasse les paroles prononcées. Comme une leçon, plus que
bienveillante. On pose un instant le propos, certes. La guitare répond, voix
superbe, certes. Prenez conscience des faits et puis... secouez-vous bon sang !
On n'a de cesse de vous le dire ! Allez,
laissez vous chambarder par cette frénésie, par ces rythmes balancés, par cette
basse prenante qui vous saisit les hanches... Free, lâchez-vous, dans la
dernière cavalcade qui clôt le titre en puissance, comme une folle lancée sur
des rails et qui se moque de tout, et de vous.
Alors. Face B. Cette avancée
progressive. Cette marche. Martiale. Et non martiale. Franche. Et barrée tout à
la fois. "The King Will Come". Toujours cette guitare fantastique qui
mène le propos, bien plus que les voix. Bien plus en avant. Véritable
narratrice. Ronde, chaude, débridée. Fulgurante. Elle dit tout à elle seule.
Vous emporte dans des songes progressifs de haute volée. Des mots pour la
décrire ? Qu'en ai-je à faire. Écoutez seulement le manifeste ! Les voix la
cueillent juste au passage pour nous ramener à l’intelligible. Juste ça.
Écoutez – ou plutôt, réécoutez, car depuis le temps, vous connaissez l'affaire
– et vous saisirez, mieux. Et alors. Alors... Ai-je besoin de vous énoncer ce
qui compose le cœur de cette œuvre de Wishbone Ash ? Est-il besoin de nommer
seulement celle qui s'élève à présent ? "Leaf and Stream" ? Simple
comme son nom. Une feuille et un ruisseau. Elle et nulle autre. Une mélodie
folk. Un murmure au crépuscule des pensées. Qui vient nous bercer entre deux
rêves et que l'on se sent juste orgueilleux de contempler, encore, et encore,
et encore. Sans jamais connaître de lassitude. Jamais. Trop brève est-elle
seulement? Volée à l'instant? Peut-être. Ou peut-être pas. Non. Finalement pas. Car elle laisse une
empreinte unique et indélébile. Et il n'est point besoin de coucher les mots
sur elle. En quelques instants, elle dit
l'essentiel et ce n'est que trop. "Warrior" ? Une bouffée
d'air vrai. Une explosion de saveurs. Une conquête. Un réveil. "Throw Down the Sword" ? Ni blanc,
ni noir. Comme tout cet ensemble. Qui dit une chose, sur ce ton qui dément et
acquiesce. Dans le même temps. Fataliste ? Jamais. Mais pas dépourvue d'émois.
Certainement pas. Écoutez, écoutez ce duo qui s'élève. C'est épique. Comme tous
les dialogues de valeur. Ça vole haut. Très haut. Comme jamais. Quant à
"No Easy Road" présente sur la première reissue ? Un final à
l'avenant. A l'appui d'un clavier piquant et dynamisant. Une ultime note qui
vous réveille les sens. Vous bouscule. Pas facile la vie, n'est-ce pas ? Mais
ça va aller ! Vous le savez. Et on vous pose la note, au cas où vous en
douteriez.
Argus, c'est juste ça. C'est
cette bouffée d'oxygène. Une ventoline quand vous manquez d'air. Une pression
sur le plexus solaire. Argus est lumineux. Et ceux qui s'en saisissent le
savent bien. Avec tout le bordel qui nous parcourt la tête, n'est-ce pas justice
que de tout voir si superbement condensé, illustré et porté, avec tant d'amour,
de joie et d'entrain ? Lisez ses mots. Écoutez ses sons. A nouveau. Ce que cet
album connu, par trop familier, a encore et toujours à vous conter, à raviver
et à nourrir. Et de vous dire, que ça ne date pas d'hier ? Oui. Ce sentiment
est daté. De cette heure unique où vous l'avez ouvert la première fois. Si
loin. Mais on peut s'en griser encore et encore, à cette heure présente. Il est
toujours vivace. Ardent. Magnifique. (Tabris – Les Eternels).
TRACKLIST :
A1. Time Was
A2. Sometime World
A3. Blowin' Free
B1. The King Will Come
B2. Leaf And Stream
B3. Warrior
B4. Throw Down The Sword
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