Mano Negra – Puta's Fever
Virgin – 70721 – Limited Edition, Die-cut circle
cover – France – 1989
Le second album est toujours
le plus dur à sortir, surtout lorsque son prédécesseur a déjà mis la barre très
haut. Car c’est celui de la confirmation. Confirmer que sa première œuvre
n’était pas qu’un simple coup de chance et que l’on a bel et bien du talent.
Certains groupes n’y arrivent pas, d’où de magistrales prises de tête
entraînant de magnifiques ratés. Pour d’autres en revanche, cela ne pose aucun
problème, le deuxième album est un album comme un autre, pas de quoi paniquer.
Et la MANO NEGRA est à classer dans cette deuxième catégorie d’artistes.
Après un premier album qui,
malgré quelques petits défauts, reste de très bonne facture, la bande à Manu
CHAO sortait donc Puta’s Fever en 1989. Opus le plus connu du groupe parisien,
en partie grâce à sa pochette rentrée dans l’histoire du rock français et de
ses innombrables classiques (« King Kong Five », « Soledad », « Sidi 'H Bibi »,
« Peligro » et « Pas Assez de Toi » pour ne citer qu’elles), c’est la clé de
voûte de la discographie de la MANO NEGRA. Sans lui, le groupe n’aurait jamais
eu le même visage, et sa renommée ne serait sans doute pas aussi grande.
À première vue, Puta’s Fever
ressemble beaucoup à Patchanka. Cependant, j’aurais plutôt tendance à le
décrire comme plus travaillé et plus varié. Que ceux qui souhaiteraient écouter
un album homogène passent leur chemin, car Puta’s Fever donne plutôt dans
l’hétéroclite à grande échelle. Aucune chanson ne se ressemble, chacune aborde
un style propre. Au contraire de Patchanka, dont on pouvait encore « grouper »
certaines chansons par genre, Puta’s Fever ne peut se chroniquer que morceaux
par morceaux. Un seul point commun pourrait les rassembler, celui d’avoir été
très soignés et de ne jamais verser dans le bordélique furieux tel qu’on
pouvait en trouver à quelques endroits sur l’album précédent.
L’entrée en matière est fracassante.
« Mano Negra » est complètement revisitée, cette fois-ci sous des tons plus
westerniens, et la MANO NEGRA se paye le luxe d’écrire un hymne au rock ‘n roll
avec la bien nommée « Rock ‘n Roll Band ». Parfait compromis entre une
rythmique imposante et une mélodie entraînante, je n’arrive cependant pas à
réellement l’apprécier, sans doute à cause d’un texte d’une niaiserie qui,
voulue ou non, me déçoit profondément. Mais je ravale très vite ma salive, car
« King Kong Five » est déjà commencée. Qu’on se le dise tout de suite, la MANO
NEGRA a assez peu abordé le rap dans ses premières années. Sur Patchanka, «
Killin’ Rats » déchirait déjà, mais alors ici c’est une véritable tuerie. Un
hip-hop agressif, très 90’s et sans concession. Une descente de piano plus
tard, c’est la folie du punk-latin qui s’installe avec « Soledad », dramatisée
par des vocaux très réussies.
Maintenant, je vous
demanderai le silence. Le silence total. Car voici venu la meilleure chanson de
la MANO NEGRA, du moins de mon humble point de vue, j’ai nommé « Sidi ’H Bibi
». Reprise d’un chant traditionnel marocain, mêlant mélodies arabisantes à une
énergie punk-rock très bien mesurée, elle voit pour la première fois Manu CHAO
céder sa place au chant au percussionniste Philippe Teboul. Pour tout vous
dire, j’en suis dingue, et les versions live sont encore plus gigantesques.
Cependant, cette chanson n’aura jamais pu avoir la reconnaissance qui lui était
due par la simple connerie des hommes : parce que chantée en arabe en pleine
guerre du Golfe, elle sera tout bonnement boycottée par les radios françaises.
La MANO NEGRA aime toujours
autant mélanger les styles, même les plus opposés. C’est d’ailleurs tant mieux,
puisque le gospel-punk sur « The Rebel Spell » est une vraie réussite. Un peu
déroutante au premier abord peut-être, elle aurait peut-être méritée d’être un
peu plus longue, mais qu’importe, car elle laisse place à la seconde perle de
l’album, « Peligro ». Reggae calme et posé, d’une douceur étonnante aux
refrains cependant déchirants, c’est la chanson la plus travaillée de l’album,
surtout au niveau des cuivres et des percussions. « Pas Assez de Toi » est une
énigme. Comment un morceau aussi violent dans son texte que dans sa musique
est-il devenu le plus grand succès du groupe ? Mystère. Quoi qu’il en soit,
force est de reconnaître que la MANO NEGRA nous écrit ici un très bon morceau,
qui clôt la première partie d’un album déjà très réussi.
Pourquoi ai-je divisé Puta’s
Fever en deux parties ? Tout simplement car sa seconde partie n’a rien à voir
avec la première. Les morceaux sont plus anecdotiques et ne peuvent rivaliser
avec tous ceux cités plus hauts. Foncièrement parlant, ils sont loin d’être
mauvais, mais sont bien attrayants. La sympathique comptine « Magic Dice » et
le rock névrosé de la « Mad House » introduisent d’ailleurs avec brio cette seconde
partie, qui compte cependant deux gros ratés : « La Rançon du Succès » et ses
textes d’une profonde débilité, que la plupart des membres du groupe déteste
d'ailleurs, et « Patchuko Hop », trop festive à mon goût. La MANO NEGRA redonne
de nouveau dans le reggae avec l’apaisante « Guayaquil City », ou dans le rock
des 60's avec « The Devil’s Call », deux bonnes petites chansons, mais rien
d’extraordinaire non plus. Le groupe écrit également la chanson référence de
son style, avec l’inévitable « Patchanka », que je n’ai jamais vraiment aimé,
mais qui jouit du statut de classique de la Mano.
Deux petites pépites
méconnus ponctuent également les ultimes moments de l’album : « Voodoo », blues
déjanté aux saveurs africaines et « Roger Cageot », dont le contraste entre ses
paroles humoristiques, son thème inspiré d'une histoire vraie, et ses mélodies
fines et retenues, reste un pur bonheur. Enfin, puisque Patchanka se terminait
par du flamenco, il n’y a pas de raison pour Puta’s Fever ne se termine pas par
de la valse … c’est chose faite avec la très courte, mais très belle « El Sur
».
Mes amis, quel album ce
Puta’s Fever. Je n’hésite pas un instant, au risque de me faire lyncher, à lui
donner le statut d’album de référence du milieu alternatif français des 90’s.
Ses quelques défauts viennent à peine entacher le résultat final, dont je
recommande l’écoute à tous. Sans aucun doute le meilleur album de la MANO
NEGRA. Pas forcément le plus abouti, mais le plus jouissif c’est certain. (Jovial – FP).
TRACKLIST :
A1. Mano
Negra
A2. Rock'n'
Roll Band
A3. King
Kong Five
A4. Soledad
A5. Sidi H'
Bibi
A6. The
Rebel Spell
A7. Peligro
A8. Pas Assez De Toi
A9. Magic Dice
B1. Mad
House
B2. Guayaquil
City
B3. Voodoo
B4. Patchanka
B5. La Rancon Du Succès
B6. The
Devil's Call
B7. Roger
Cageot
B8. El Sur
B9. Patchuko
Hop
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