THE BEATLES
SGT. PEPPERS LONELY HEARTS CLUB BAND (1967)
L’une des versions
officielles quant à l’origine du titre de cette œuvre magistrale veut que le
Sergent Poivre doive son nom à un jeu de mots entre Paul McCartney et Mal
Evans, parti de salt and pepper (sel et poivre). Le concept de la fanfare
relèverait lui, d’un désir d’offrir au groupe un alter ego qui l’aiderait à
marquer le début d’une nouvelle ère. Enfin, les cœurs solitaires traduiraient
la crainte de n’être pas suivis dans leur nouvelle direction musicale. Le reste
fait partie de la légende...
Difficile de trouver album
plus culte. Une pochette aux allures de paquet cadeau, des compositions
toujours plus recherchées qui atteignent des sommets de psychédélisme, Sgt.
Pepper’s Lonely Hearts Club Band, c’est tout cela à la fois. Et si son
classement parmi les albums conceptuels reste discutable, il n’en demeure pas
moins une œuvre majeure dans l’histoire du groupe et de la musique en général
car il met tout le monde d’accord : il y aura désormais un avant et un après
Sgt. Pepper’s.
Commençons par sa pochette
légendaire. Conçue par Peter Blake, elle représente les Beatles devant une
véritable mosaïque de visages célèbres parmi lesquels Marilyn Monroe, Laurel
& Hardy, Bob Dylan ou encore Stuart Sutcliffe. À leurs côtés, leurs statues
de cire comme pour marquer plus nettement le passage à autre chose.
Photographié par Michael Cooper, le groupe reconverti en fanfare pose en
costumes colorés avec les instruments de rigueur, qui une trompette, une
clarinette, une flûte ou un tuba. Avant-gardiste jusque dans le moindre détail,
elle contient les paroles des chansons et lance avant l’heure les débuts du
merchandising en proposant une effigie cartonné du Sergeant Pepper avec ses
accessoires. Et si la main au-dessus de la tête de Paul et le fait qu’il soit
de dos au verso de la pochette ont servi plus tard d’indices supplémentaires
pour alimenter les rumeurs de sa mort, elle est encore à ce jour un modèle du
genre.
Musicalement, cet album est
la digne suite de ses prédécesseurs. Quel album pouvaient-ils sortir après
Revolver sinon Sgt. Pepper ? À sa sortie, il propulse définitivement le groupe
au firmament. Les fans sont rassurés, les critiques sans voix et la concurrence
admirative. Le soir même, alors que les Beatles parcourent les clubs pour
célébrer l’événement, ils en ont la preuve lorsqu’ils entrent dans un pub
pendant le set de Jimi Hendrix qui improvise aussitôt une reprise de la
chanson-titre sous leurs yeux ébahis. Respect mutuel entre grands de ce
monde...
Vite estampillé
concept-album, Sgt Pepper n’en est pas un au même titre que le sera Dark Side
of the Moon de Pink Floyd six ans plus tard, c’est-à-dire un album dont chaque
titre s’enchaîne comme les différents épisodes d’une histoire. Mais il est vrai
que la transition parfaite entre les deux premiers morceaux et la reprise de la
chanson d’ouverture avant de baisser le rideau suffisent à donner à tout le
disque la cohérence nécessaire. Sans compter que l’alternance de rythmes
soutenus et plus lents donne réellement à l’auditeur l’impression d’assister à
une représentation de cirque ou d’écouter une sorte de symphonie moderne.
Visite guidée d’un chef d’œuvre.
« Sgt. Pepper’s Lonely
Hearts Club Band » qui ouvre l’album donne le ton. La foule s’installe dans
quelques derniers chuchotements et l’orchestre commence à jouer. Sur un tempo
de fanfare, Paul McCartney endosse le rôle de Monsieur Loyal et présente le programme
des réjouissances qui seront nombreuses.
Sans plus attendre, il
annonce « the one and only Billy Shears » qui n’est autre que Ringo qui
enchaîne avec « With A Little Help from My Friends » composée spécialement pour
lui par John et Paul, l’un des titres qu’ils lui ont écrit et dont ils sont le
plus particulièrement fiers. Sa mélodie inoubliable et ses chœurs construits
comme un dialogue vont même séduire le jeune Joe Cocker et feront décoller sa
carrière.
Arrive ensuite le
controversé « Lucy in the Sky With Diamonds »interdit par la BBC pour cause
d’initiales jugées trop subversives. Mais au-delà des hasards de la
linguistique, cette chanson aux accents lennoniens mérite qu’on s’y attarde ne
serait-ce que pour son refrain aux chœurs impeccables et sa ligne de basse
incontournable. Peu importe qu’elle doive son titre à un dessin du jeune Julian
Lennon comme l’ont toujours prétendu les Beatles, ou non.
« Getting Better », du
McCartney pur jus, pose les bases de leur future plongée dans la méditation et
livre un message qu’on peut traduire ainsi : lorsque ça ne peut pas être pire,
ça ne peut être que meilleur. « Fixing a Hole », McCartney toujours, fait
partie de ces chansons où les Beatles usent et abusent du double sens. Ils
aimaient à glisser ici et là des références à la drogues à l'attention de leur
bande d’initiés ; l’âme vagabonde de la chanson n’a peut-être rien d’innocent.
Chacun est libre d’y voir ce qu’il veut dans la plus pure tradition des années
1960.
« She’s Leaving Home » et sa
délicate introduction à la harpe est un exercice de style brillamment exécuté
par John et Paul autour d’un fait réel lu dans le journal à propos d’une jeune
fugueuse qui fuit l’autorité parentale. Assez joué avec la corde sentimentale,
John revient dans un carrousel de sonorités avec « Being for the Benefit of Mr
Kite » dont les paroles lui ont été inspirées par une affiche annonçant un
cirque ambulant. L’utilisation de bandes passées à l’envers ou découpées et
recollées au hasard ainsi que son habile alternance de rythmes binaire et
ternaire font de ce titre une véritable fête et contribuent indiscutablement à
l’ambiance générale.
Si ses compositions les plus
récentes trahissaient son profond attachement à tout ce qui concerne la culture
indienne, George Harrison bascule littéralement dans le mystique. Son « Within
You Without You » ouvre la face B de la version vinyle dans une ambiance bongos
et dihuba (instrument indien à mi-chemin du violon et du sitar). Avec « When
I’m Sixty Four », Paul remet au goût du moment un titre qu’ils jouaient déjà à
l’époque du Cavern Club. La clarinette aidant, son tempo très années 1920 lui
donne au sein des festivités la place du bon vieux numéro que tout le monde
connaît par cœur mais dont personne ne peut se passer.
« Lovely Rita »
s’adresserait à une certaine Meta Davies qui a verbalisé McCartney au printemps
1967 et à qui le prévenant bassiste aurait demandé l’autorisation de tourner le
malencontreux incident en chanson. Là encore, quelques soient les conditions
qui l’ont vu naître, ce titre d’une efficacité sans bavure et au rythme enlevé
prend toute sa dimension grâce à la dextérité de George Martin au piano
bastringue. « Good Morning, Good Morning », c'est une journée de plus qui
commence avec une publicité tonitruante pour une marque de corn flakes dans la
vie d’un John désabusé qui s’ennuie ferme dans son rôle de mari et père de
famille. Un titre positif sur une chanson au texte sombre qui donne le champ
libre à Lennon pour faire preuve de toute l’ironie dont il est capable. Puis
vient le moment de se quitter : la fanfare revient dire au revoir et exprimer
sa gratitude au public le temps d’une courte reprise du morceau d’ouverture.
Mais comme tout spectacle
digne de ce nom comporte son rappel, Lennon secondé d’un McCartney aussi
éclairé qu’inspiré livre « A Day in the Life ». Véritable bouquet final à la
hauteur du feu d’artifice Sgt. Pepper's, cette chanson est une brillante
articulation de plusieurs séquences bien distinctes et initialement
indépendantes les unes des autres. Et si John raconte avoir basé les paroles
sur la page faits divers du Daily Mail, son enregistrement nécessite trois
semaines. John s’accompagne à la guitare et George Martin assure l’harmonium
dans une première partie au fort accent de jolie ballade. Survient une première
envolée symphonique pour laquelle Paul donne une simple consigne aux
quarante-deux musiciens présents : jouer successivement chaque note que leur
permet leur instrument dans une gigantesque gamme ascendante.
En professionnel du métier,
George Martin n’a évidemment pas pu s’empêcher d’établir quelques lignes
directrices mais l’effet n’en demeure pas moins saisissant. Si saisissant que
certains y verront une ressemblance frappante avec les effets reconnus d’une
prise d’acide, la suite de la chanson les conforte encore dans leur position.
La sonnerie d’un réveil puis Paul qui, au saut du lit, raconte sur un rythme
saccadé qui illustre son retard, qu’il boit un café, prend son chapeau, monte
dans le bus, allume une cigarette et plonge dans un rêve... Nouveau clin d’œil
en guise de transition pour marquer le retour de John dont la partie est
agrémentée d’un zeste de percussions. Enfin, sur un « I’d love to turn you
on...» teinté à la fois de sexe, de drogue et de rock’n’roll, l’orchestre
reprend pour vingt-quatre mesures d’apothéose qui s’achèvent sur un accord de
la joué sur deux pianos à quatre mains par John, Paul, Ringo et George Martin
et qui fait durer le plaisir pendant quarante-deux secondes. Détail anecdotique
: un matériel hi-fi correct permet à l’auditeur d’entendre Mal Evans compter
les premières mesures.
Avec cet album, les Beatles
sont au sommet de leur art et semblent hors d’atteinte pour la concurrence. La
légende raconte même que sa sortie plonge Brian Wilson, le leader perturbé des
Beach Boys, dans une profonde dépression et qu’il reste cloîtré chez-lui des
semaines durant à l’écouter en boucle. Une chose est sûre, Sgt. Pepper’s est
probablement l’album que de nombreux fans emmèneraient sur une île déserte et
indiscutablement celui qu’il faut posséder. À écouter n’importe quand, partout,
tout le temps : « We hope you have enjoyed the show » (nous espérons que vous
avez apprécié le spectacle), disaient-ils.
TRACKLIST :
A1 Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band
A2 With A Little Help From My Friends
A3 Lucy In The Sky With Diamonds
A4 Getting Better
A5 Fixing A Hole
A6 She's Leaving Home
A7 Being For The Benefit Of Mr. Kite
B1 Within You Without You
B2 When I'm Sixty-Four
B3 Lovely Rita
B4 Good Morning Good Morning
B5 Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band
(Reprise)
B6 A Day In The Life
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