samedi 5 janvier 2013

Peter Gabriel - Up



PETER GABRIEL - UP (2002)


Mais qu’arrive-t-il à Peter Gabriel ? On savait le bonhomme incroyablement lent lorsqu’il s’agit d’enfanter un nouveau disque, attaché à un perfectionnisme maladif pour le meilleur et pour le pire. Il y a dix ans déjà, la longue attente s’était achevée pour le meilleur, en l’occurrence ce Up , qu’il n’est pas interdit aujourd’hui de considérer, avec le recul d’une décennie, comme l’un des tous meilleurs albums solo de l’ex-maître à rêver de Genesis.
C’est bel et bien en noir que Peter Gabriel signait alors un retour magistral. Prenant totalement à contre-pied ceux qui s’attendaient à le voir poursuivre dans la veine efficace mais très consensuelle de So ou Us, le Gab délivrait en 2002 un album où la musique savait se faire mystérieuse, introvertie, au point de ne se laisser vraiment apprivoiser qu’au fil de multiples écoutes.
Le disque s’ouvre sur le bien nommé «Darkness», évocation des peurs enfantines (mais éternelles), alternant une mélodie à la douceur magique et un thème angoissant, dur, sec, presque dérangeant, renvoyant aux atmosphères glaciales de 1980, celles des «Intruder» et autres «No Self-Control». «Growing Up» continue de brouiller les pistes, entrelaçant une mélodie que n’aurait pas renié un certain Genesis (du temps où…) et un refrain très direct, dansant, presque technoïde. Les tempos nonchalants des trois morceaux suivants («Sky Blue», «No Way Out» et «I Grieve») peuvent, au premier abord, faire croire qu’on entre ici dans une sorte de «ventre mou» du disque. Fausse et éphémère impression… Gabriel y mêle en vérité discrétion et complexité par des mélodies délicates et moelleuses, des arrangements supérieurement intelligents (il est cette fois le seul producteur) et des textes à la fois pudiques et profonds où il évoque nos fantômes, nos peurs, la cruauté des déchirures séparant ceux qui meurent de ceux qui restent. Le tout par une démarche que l’on peut finalement rapprocher de celle de Peter Hammill, autre poète de l’obscur : regardons nos peurs en face, affrontons-les pour pouvoir vivre avec elles («I have my fears but they do not have me» «Darkness»).
Si «The Barry Williams Show», premier single choisi par Virgin, est nettement en-deça musicalement du reste de l’album (mais vaut en revanche par un texte dénonçant avec une ironie mordante la dégoulinante vulgarité de la télé-réalité), les vingt dernières minutes de Up tiennent, elles, du pur chef-d’oeuvre. On pense au meilleur Robert Wyatt sur «My Head Sounds Like That» (évoquant la dépression, qu’a connu Gabriel ces dernières années, au fil d’une mélancolie céleste). «More Than This». traversé de cette inspiration à la fois immédiate et profonde qui manquait cruellement à la plupart des titres de Us, précède l’un des meilleurs morceaux de toute la carrière de Pete Gab : l’immense «Signal to Noise», où revit la voix du regretté Nusrat Fateh Ali Khan, hantant une atmosphère incroyablement sombre, mêlant accents symphoniques à world-music. La dernière touche est une chute magnifique, dans tous les sens du terme «The Drop», petite merveille fragile de trois minutes, où, juste accompagnée d’un piano, la voix d’un Gabriel, retrouvant une texture douce et haut perchée qu’on ne lui connaissait plus depuis ses premiers disques, chuchote quasiment : «One by one, vou watch them fall … » Avec Up, album exigeant, imprégné d’une noirceur tour à tour farouche et intimiste, Peter Gabriel renouait avec l’intensité de l’émotion et la profondeur musicale, sans vraiment se soucier de l’impact commercial d’un disque au potentiel ‘tubesque’ beaucoup moins évident que ceux de ses prédécesseurs de 1986 et 1992.
Depuis, le Gab amuse la galerie avec des albums  en collaboration avec d’autres artistes (Big Blue Ball en 2008) ou de reprises  (de morceaux des autres avec le Scratch my back  de 2010, ou bien des siens en mode symphonique avec le New Blood de 2011)…Autant de galettes non dénuées d’intérêt mais éminemment dispensables au regard du niveau de ce Up qui, dix ans après sa parution, laisse en suspens une simple question : Peter Gabriel sera-t-il capable de revenir un jour côtoyer les mêmes hauteurs ?

(Frédéric Delâge).



TRACKLIST :

A1       Darkness          
A2       Growing Up
A3       Sky Blue
B1       No Way Out    
B2       I Grieve            
C1       The Barry Williams Show          
C2       My Head Sounds Like That      
C3       More Than This             
D1       Signal To Noise
D2       The Drop





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