PETER GABRIEL - UP (2002)
Mais qu’arrive-t-il à Peter
Gabriel ? On savait le bonhomme incroyablement lent lorsqu’il s’agit d’enfanter
un nouveau disque, attaché à un perfectionnisme maladif pour le meilleur et
pour le pire. Il y a dix ans déjà, la longue attente s’était achevée pour le
meilleur, en l’occurrence ce Up , qu’il n’est pas interdit aujourd’hui de
considérer, avec le recul d’une décennie, comme l’un des tous meilleurs albums
solo de l’ex-maître à rêver de Genesis.
C’est bel et bien en noir
que Peter Gabriel signait alors un retour magistral. Prenant totalement à
contre-pied ceux qui s’attendaient à le voir poursuivre dans la veine efficace
mais très consensuelle de So ou Us, le Gab délivrait en 2002 un album où la
musique savait se faire mystérieuse, introvertie, au point de ne se laisser
vraiment apprivoiser qu’au fil de multiples écoutes.
Le disque s’ouvre sur le
bien nommé «Darkness», évocation des peurs enfantines (mais éternelles),
alternant une mélodie à la douceur magique et un thème angoissant, dur, sec,
presque dérangeant, renvoyant aux atmosphères glaciales de 1980, celles des
«Intruder» et autres «No Self-Control». «Growing Up» continue de brouiller les
pistes, entrelaçant une mélodie que n’aurait pas renié un certain Genesis (du
temps où…) et un refrain très direct, dansant, presque technoïde. Les tempos
nonchalants des trois morceaux suivants («Sky Blue», «No Way Out» et «I
Grieve») peuvent, au premier abord, faire croire qu’on entre ici dans une sorte
de «ventre mou» du disque. Fausse et éphémère impression… Gabriel y mêle en
vérité discrétion et complexité par des mélodies délicates et moelleuses, des
arrangements supérieurement intelligents (il est cette fois le seul producteur)
et des textes à la fois pudiques et profonds où il évoque nos fantômes, nos
peurs, la cruauté des déchirures séparant ceux qui meurent de ceux qui restent.
Le tout par une démarche que l’on peut finalement rapprocher de celle de Peter
Hammill, autre poète de l’obscur : regardons nos peurs en face, affrontons-les
pour pouvoir vivre avec elles («I have my fears but they do not have me»
«Darkness»).
Si «The Barry Williams
Show», premier single choisi par Virgin, est nettement en-deça musicalement du
reste de l’album (mais vaut en revanche par un texte dénonçant avec une ironie
mordante la dégoulinante vulgarité de la télé-réalité), les vingt dernières
minutes de Up tiennent, elles, du pur chef-d’oeuvre. On pense au meilleur
Robert Wyatt sur «My Head Sounds Like That» (évoquant la dépression, qu’a connu
Gabriel ces dernières années, au fil d’une mélancolie céleste). «More Than
This». traversé de cette inspiration à la fois immédiate et profonde qui
manquait cruellement à la plupart des titres de Us, précède l’un des meilleurs
morceaux de toute la carrière de Pete Gab : l’immense «Signal to Noise», où
revit la voix du regretté Nusrat Fateh Ali Khan, hantant une atmosphère
incroyablement sombre, mêlant accents symphoniques à world-music. La dernière
touche est une chute magnifique, dans tous les sens du terme «The Drop», petite
merveille fragile de trois minutes, où, juste accompagnée d’un piano, la voix
d’un Gabriel, retrouvant une texture douce et haut perchée qu’on ne lui
connaissait plus depuis ses premiers disques, chuchote quasiment : «One by one,
vou watch them fall … » Avec Up, album exigeant, imprégné d’une noirceur tour à
tour farouche et intimiste, Peter Gabriel renouait avec l’intensité de
l’émotion et la profondeur musicale, sans vraiment se soucier de l’impact
commercial d’un disque au potentiel ‘tubesque’ beaucoup moins évident que ceux
de ses prédécesseurs de 1986 et 1992.
Depuis, le Gab amuse la
galerie avec des albums en collaboration
avec d’autres artistes (Big Blue Ball en 2008) ou de reprises (de morceaux des autres avec le Scratch my
back de 2010, ou bien des siens en mode
symphonique avec le New Blood de 2011)…Autant de galettes non dénuées d’intérêt
mais éminemment dispensables au regard du niveau de ce Up qui, dix ans après sa
parution, laisse en suspens une simple question : Peter Gabriel sera-t-il
capable de revenir un jour côtoyer les mêmes hauteurs ?
(Frédéric Delâge).
TRACKLIST :
A1 Darkness
A2 Growing
Up
A3 Sky Blue
B1 No Way
Out
B2 I
Grieve
C1 The
Barry Williams Show
C2 My Head
Sounds Like That
C3 More
Than This
D1 Signal
To Noise
D2 The Drop
D2 The Drop
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