lundi 2 décembre 2013

Duran Duran - Rio



DURAN DURAN - RIO (1982)
EMI - EMC3411 - (U.K.)

Que les stalinistes du bon goût passent leur chemin. Nous allons aujourd’hui nous intéresser à Rio, le deuxième album de Duran Duran, et ce via une comparaison avec Diamond, le second disque de son concurrent direct de l’époque : Spandau Ballet. Pour la petite histoire, en 1982, les deux groupes, en recherche ardente de publicité, aimaient à faire croire qu’ils se détestaient cordialement. Et comme à son habitude, la presse anglaise ne ratait naturellement jamais une occasion de mettre de l’huile sur le feu…


Une émission de la BBC est revenue il y a quelques temps sur cette rivalité prétendument féroce entre Duran Duran et Spandau Ballet. En réalité, il semble que les deux groupes se vouaient un respect mutuel et n’alimentaient cette guéguerre par magazines interposés que dans le but d’entretenir le buzz autour de leurs noms. C’est une stratégie marketing qui a fait ses preuves (pensez aux conflits Beatles-Stones, Oasis-Blur, Delvaux-Coosemans,...). Avec le recul, l’on peut dire que les deux groupes avaient beaucoup plus de points communs que de différences fondamentales. Outre une longue liste de références similaires (David Bowie, Roxy Music, Chic et Kraftwerk principalement), tous deux sont de purs produits de la culture du nightclubbing anglais de la fin des années 70.

A cette époque, au même titre que les Duran Duran à Birmingham, les Londoniens de Spandau Ballet sont de toutes les fêtes. Le quartier chaud de Soho est leur Q.G. Ils y passent toutes leurs nuits en boîtes, à boire du champagne et tomber les filles. Sous la boule à facettes, ils dansent sur la synth-pop de Kraftwerk, Telexet Tubeway Army entre autres, ce qui les incitera à introduire progressivement de l’électronique dans leur musique. Ce sera un tournant majeur car lors de sa formation, deux ans plus tôt, le groupe donnait plutôt dans le blues et le rock’n’roll classique façon Rolling Stones et Kinks.

« You go down Greek Street, then it’s underground. Well, it’s Soho life. » (Chant n° 1, Spandau Ballet).

Après plusieurs changements de line-up, Spandau Ballet trouve sa formule définitive en 1979. Autour du guitariste Gary Kemp, 20 ans, qui se prédestinait à une carrière de comédien, on trouve le fringant chanteur Tony Hadley, fils spirituel de Bryan Ferry, le multi-instrumentiste Steve Norman et le batteur John Keeble. Martin Kemp, bassiste et jeune frère du leader, est le dernier à les rejoindre à seulement 17 ans.

Ils donnent une série de concerts dans les clubs branchés de Londres et deviennent vite l’objet d’une véritable hype. Les membres de Duran Duran les voient sur scène et sont très impressionnés, tant par leur look baroque/futuriste très étudié que par l’efficacité de leur son (ils mettront toutefois de nombreuses années à le reconnaître).

Plusieurs grosses maisons de disques sont intéressées et c’est finalement Chrysalis Records qui décroche leur signature et sort leur premier single, le tube synth-pop To cut a long story short, en 1980. Celui-ci se classe directement à la cinquième place des charts britanniques. Le très select club londonien Blitz, dont les membres du groupe sont devenus de véritables piliers (au même titre que Boy George, entre autres), devient alors pour quelques mois le centre de gravité de la scène musicale du Royaume-Uni. C’est de là qu’explose le mouvement Nouveau Romantique, lorsque Steve Strange et Rusty Egan y forment Visage avec des membres d’Ultravox et de Magazine, qui sont tous des habitués du club. Leur single Fade to grey sort en 1980 et devient instantanément un classique incontournable des dancefloors.

De leur côté, à Birmingham, les Duran Duran ont remplacé dès 1979 le chanteur des débuts par Simon Le Bon, un poseur de 21 ans, acteur débutant qui a déjà tourné dans quelques spots de pub. Une de ses petites amies, barmaid au Rum Runner, la boîte où Nick Rhodes est DJ et John Taylor portier, a servi d’intermédiaire à leur rencontre. Roger Taylor, le batteur, et Andy Taylor, le guitariste, rejoignent le groupe dans la foulée (contrairement à une idée reçue, il n’existe aucun lien de parenté entre les trois Taylor).

Duran Duran se positionne rapidement comme un groupe de rock post-disco. « Les Sex Pistols qui jouent du Chic », diront-ils parfois, confessant que leur look est au moins aussi important que leurs chansons (à l’instar de Spandau Ballet, la presse les associe immédiatement au mouvement néo-romantique émergeant). L’électronique est présente dès leurs premières chansons via le synthétiseur de Nick Rhodes, mais la guitare est toujours bien en avant et c’est de la section rythmique que viendra la signature funky du groupe. A bien des égards, le Duran Duran de 1981 peut être perçu comme une version plus pop et moins intello de Japan(encore un rejeton de Bowie/Roxy nourri aux musiques noires). Nick Rhodes, le cerveau musical de Duran Duran, n’a d’ailleurs jamais fait mystère de sa fascination pour David Sylvian.

De même, on peut souligner le mimétisme entre les titres du LP Duran Duran et ceux d’albums de Japan. Un exemple en particulier parle de lui-même, c’est celui du single de 1979 Life in Tokyo, produit par Sylvian avec le pape du disco Giorgio Moroder. Sa structure a manifestement servi de modèle aux premières ébauches de Nick Rhodes et consorts. Simon Le Bon insuffle toutefois un surplus d’explosivité, d’entrain et de charisme.

Dans les vidéos diffusées en heavy rotation sur l’unique chaine musicale de l’époque, il personnifie le winner irrésistible : un jeune esthète qui transpire l’assurance, voire même l’arrogance. L’usage fait par Duran Duran de la vidéo est l’une des clés de sa réussite. Les membres du groupe jouent les gravures de mode dans des clips légers où les filles et le champagne sont omniprésents. Celui deGirls on film, jugé beaucoup trop sexy et provoquant, est censuré par la BBC, ce qui crée un coup de pub plus que bienvenu. Grâce à ce buzz, leur premier album, en 1981, sera un succès.

Journeys to glory, le premier LP de Spandau Ballet, sort la même année et ne recueille pas que des bonnes critiques. Globalement bâclé, doté de plusieurs titres peu inspirés, cet opus est un départ manqué, rapidement éclipsé dans le cœur des teenagers par, notamment, le premier Duran Duran, autrement plus excitant. Spandau a soif de revanche et concentre donc ses efforts sur sa deuxième plaque, Diamond. Celle-ci se veut nettement plus ambitieuse et expérimentale. Sa première face comprend quatre titres de funk urbain à haut potentiel dansant (dont Chant n° 1 (I don’t need this pressure on), qui décrochera un joli succès populaire), tandis que la seconde face du disque se concentre sur des titres étranges, moins accessibles, plus alambiqués. Les trois derniers morceaux de l’album désarçonnent l’auditeur par les sonorités étonnantes qu’ils renferment. L’orientalisante et ambientInnocence and science, par exemple, évoque davantage la bande-son d’un massage tantrique et des effluves d’encens que les soirées arrosées au Dom Pérignon des boîtes de nuits de la capitale. On peut y voir l’influence de certains albums de Brian Eno, mais aussi une démarche calculée ayant pour but d’être pris tant que possible au sérieux par un public arty et intellectuel. Viser plus haut que les jeunes clubbeurs de 20 ans était déjà plus qu’une nécessité, une question de survie.

« Some people call it a one night stand, but we can call it paradise. » (Save a prayer, Duran Duran).

De son côté, Duran Duran est bien déterminé à concrétiser, avec Rio, la percée réussie avec son premier 33 tours un an plus tôt. Le succès de masse est leur seul objectif et, au vu de la moisson de hits présents sur cette galette, ils ne pouvaient que le récolter. L’album est un triomphe planétaire, certifié double disque de platine aux Etats-Unis. My own way, Hungry like the wolf, Save a prayer(à mon humble avis, l’un des meilleurs morceaux de leur carrière) etRio cartonnent en single dans les charts internationaux. D’autres titres comme New religion, Last chance on the stairway, Lonely in your nightmare et Hold back the rain (inspirée par les graves problèmes de drogues du bassiste John Taylor) auraient assurément connu la même destinée s’ils avaient été édités en simples. Tant de tubes sur un seul LP, cela tient du prodige ! Duran Duran a trouvé la recette de la pop-song parfaite, avec des mélodies insidieuses et des refrains immédiatement mémorisables à reprendre en chœur. Seul titre plus ambitieux d’un point de vue artistique, la ballade The chauffeur clôture l’album sur une note plus mélancolique et aventureuse (même si le pipeau sonne aujourd’hui affreusement daté). Et à l’efficacité du son s’ajoute la puissance du visuel : le groupe continue de proposer des clips à gros budgets tournés dans des contrées paradisiaques et qui renforcent encore auprès des ados leur image de sex-symbols intouchables.

Spandau Ballet n’a pas autant de hits à défendre mais n’a pas à rougir de son travail sur Diamond pour autant. En faisant cohabiter guitares, section de cuivres, éléments électroniques, rythmiques funky et chant de crooner, ils proposent ce qu’on pourrait appeler « du Roxy Music de l’ère new wave ». Chant n°1, véritable ode aux nuits de Soho (où le clip a d’ailleurs été tourné) et Paint me down, un autre single extrêmement bien ficelé, sont très efficaces mais c’est l’intrigante Coffee Club qui remporte la palme de l’originalité : du funk blanc déjanté croise des improvisations jazz et des vocalises proches du ska complètement inattendues ; on est là très loin du rock et de la pop. Dans un tout autre registre, la plus romantique She loved like diamond annonce, elle, le ton de l’albumTrue, entre élégance innée et maniérisme insupportable. Les poses suffisantes de Tony Hadley dans ce clip lui vaudront une réputation de frimeur fini. Et beaucoup de railleries, en Angleterre comme ailleurs.

Verdict : EX AEQUO. Impossible de départager ces deux albums.Diamond est plus osé, moins ouvertement commercial et consensuel, mais on ne peut nier que Rio représente le pinacle de la pop. Une pop fichtrement bien foutue, imparable, magnifiquement produite et que beaucoup de gros durs - Chino Moreno deDeftones, Fred Durst de Limp Bizkit, Jonathan Davis de KoRn ou, dans un autre registre, les Dandy Warhols - ont avoué adorer. Duran Duran a certes largement remporté la bataille des hit-parades, mais Spandau Ballet Ballet n’avait rien à leur envier sur le plan purement artistique, loin de là (du moins en ce qui concerne Diamond, pour la suite, c’est moins évident).

Pour moi, ces deux disques sont des pépites aussi indispensable l’une que l’autre.
(Jérôme Delvaux - Pop-Rock.com).


TRACKLIST:



A1       Rio
A2       My Own Way
A3       Lonely In Your Nightmare
A4       Hungry Like The Wolf
A5       Hold Back The Rain

B1       New Religion
B2       Last Chance On The Stairway
B3       Save A Prayer

B4       The Chauffeur






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