TALK TALK - SPIRIT OF EDEN
Parlophone - 74 6977 1 - LP Album - UK - 1988
Comment débuter la chronique
d’un album aussi important et aussi marquant? En s’indignant du fait que,
presque 20 ans après sa sortie, il n’est pas encore totalement reconnu à sa
juste mesure? En effet, pour beaucoup, le nom de Talk Talk reste attaché à la
musique qu’offrait le groupe à ses débuts, à savoir de la pop new wave dans la
veine des tubes "It’s My Life" (récemment massacré par No Doubt) ou
"Such A Shame".
Pourtant, Talk Talk ne prend
véritablement son envol qu’en 1986 avec The Colour Of Spring, soit le passage
subtilement négocié d’une pop léchée et synthétique à une musique beaucoup plus
recherchée et surtout incroyablement organique. Après le succès de ce troisième
album, le groupe (en particulier son leader et sa voix, Mark Hollis) va décider
de pousser jusqu’au bout ce qu’il a commencé avec brio sur The Colour Of
Spring, au grand dam des pontes de EMI qui espéraient que le groupe leur ponde
de nouveau des tubes de la classe d’un "Life’s What You Make It". Le
groupe explose le budget et les délais imposés par la maison de disque, puis
annonce qu’il n’y aura ni single, ni tournée de promotion. Et c’est en
septembre 1988 que sort pour de bon Spirit Of Eden.
À quoi ressemble cet album?
Difficile à dire. À vrai dire, il ne ressemble à rien de ce qu’a pu faire le
groupe avant (à part peut-être "April 5th" et "Chameleon
Day" sur l’album précédent) et à pas grand chose non plus si l’on s’en tient
au rock « traditionnel ». Seul élément familier, la voix unique de Mark Hollis,
cette voix plaintive, chevrotante et à fleur de peau. Pour le reste, l’album
est une véritable cathédrale émotionnelle. La musique y est constamment en
apesanteur, oscillant entre des moments de tension incroyables et d’autres
d’une sérénité à couper le souffle, tous magnifiés par la richesse et la pureté
de l’instrumentation.
On rentre dans le vif du
sujet avec la magnifique suite qui comprend les trois premiers morceaux (plus
de vingt minutes qui occupaient à l’époque une face entière du disque).
Trompette plaintive, nappe de cordes minimalistes, harmonica déchirant...
L’ambiance s’installe puis se calme progressivement avant que ne soit décoché
le premier son de guitare, au bout de deux longues minutes. Le rythme lancinant
démarre et la voix de Mark Hollis est plus posée que jamais. Les trois morceaux
s’enchaînent avec comme fil conducteur ce rythme de batterie, tel un cœur qui
bat. C’est sur ce rythme que se succèdent des envolées d’une beauté et d’une
puissance indescriptibles, chaque morceau constituant un crescendo par rapport
au précédent. Sur "The Rainbow", une simple montée d’orgue. Sur
"Eden", une montée d’orgue accompagnée d’un arpège de guitare acéré
et de la voix puissante de Mark Hollis. Enfin sur "Desire", un déluge
de percussions apocalyptiques, des rugissements de guitare et une mélodie de
basse qui forment une sorte de magma sonore. À chaque fois, la musique vous
prend aux tripes et redescend d’un coup. Frissons garantis.
La deuxième partie du disque
est composée de trois morceaux calmes, encore une fois d’une splendeur rarement
égalée par un groupe de rock. "Inheritance" est le minimalisme
incarné. Piano, batterie discrète et quelques sons de guitare. Le refrain est
stupéfiant, basse et orgue offrant un écrin parfait à la voix de Mark Hollis.
"I Believe In You" brille par la présence bouleversante de la chorale
de la cathédrale de Chelmford, qui vient ajouter une touche de lyrisme aux
nappes d’orgue qui ponctuent cette chanson. Enfin, "Wealth" s’appuie
de nouveau sur une nappe d’orgue, un piano et une contrebasse, simplement
accompagnés de notes presque psychédéliques égrenées à l’orgue Hammond. La fin
de l’album est d’une tranquillité absolue, la meilleure façon de clore ce
chef-d’œuvre qui porte merveilleusement bien son nom.
Inutile de dire que tout ça
n’a pas plu à EMI, qui a bien tenté de faire un single avec une version
raccourcie de "I Believe In You" contre l’avis du groupe, précipitant
ainsi la rupture. Inutile non plus de dire qu’ils n’ont pas remporté beaucoup
de succès avec cet album. Pourtant, la portée de Spirit Of Eden (et de son
successeur, le tout aussi fascinant Laughing Stock) est aujourd’hui
incontestable. Il a participé à la création d’un des genres les plus importants
des années 1990, le post-rock, tout en influençant une cohorte d’artistes. À
posséder absolument, donc. ( Flyingwill - Metal Immortel).
TRACKLIST:
A. The Rainbow / Eden
/ Desire
B1. Inheritance
B2. I Believe In You
B3. Wealth
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