GENESIS - Wind And Wuthering (1976)
Avec l'album A Trick of the
Tail et la tournée qui s'ensuivit, GENESIS prouva au public, passionné ou
novice, qu'il pouvait largement exister sans Peter Gabriel. Alors, le groupe
anglais enfila des bottes de sept lieues et nous donna rendez-vous fin décembre
1976, moins d'un an après son coup d'éclat. Il battit le fer encore chaud, il
procéda par sessions avec une certaine limite de temps, et il vit que cela
était bon, comme pour chaque nouvelle création. Mais l'hiver vint, le froid
goba le chaud, suspendit le cours du temps et, défiant les lois astronomiques,
une supernova devint constellation dans l'immensité d'un univers qui n'est
autre que celui de la musique.
Le 27 décembre 1976, GENESIS
publie son plus bel album, et le meilleur disque de tous les temps (vous avez
le droit de ne pas être d'accord, allez en paix). Le décor tient une place
importante dans sa conception, d'abord par la retraite du groupe dans le
Nord-Brabant, aux studios Relight d'Hilvarenbeek, Pays-Bas (taxes trop
importantes en Angleterre), et de manière plus fictive, par l'évocation d'un
manoir perdu dans les landes du Nord de l'Angleterre, le Yorkshire si bien
illustré à travers le chef-d'oeuvre d'Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent
(Wuthering Heights). Pour écouter cet album hommage nommé Vent et Hurlevent, ne
perdez pas le nord ; les Antilles, la Méditerranée, l'Océanie, tout cela est un
peu hors-sujet, vous l'aurez compris.
C'est ici le théâtre d'une
lutte d'influence entre deux personnages. Sur quatre, les deux autres se
distinguent « par discrétion » naturelle ou contrainte, entre Phil Collins qui
se préoccupe de sauver son mariage et qui logiquement, participe peu à
l'écriture, et Mike Rutherford, au contraire heureux, qui glisse une ballade
romantique (« Your Own Special Way », second tube historique de GENESIS) tout
en jouant le rôle de pilier dans la durée de sessions mouvementées. Leur apport
rythmique n'en reste pas moins solide, Collins s'inspirant de ses débuts avec
le groupe de jazz-rock Brand X (« Wot Gorilla? », « In That Quiet Earth »)
comme il l'avait fait sur A Trick of the Tail.
Le conflit du chapitre
oppose Sir Anthony de Vil-Banks (Tony Banks), le claviériste dont la confiance
en soi est désormais bien établie, et Lord Stephen Hackett (Steve Hackett), le
guitariste, fort de sa première expérience en solo, qui tente de prouver la
même chose, mais dont l'arrivée tardive dans l'histoire et la réserve affichée
au sein du groupe imposent une distance et une source de continuelle
frustration. D'ailleurs, il n'y a pas que les compositions : Hackett dira bien
plus tard, non sans regret, que les albums de GENESIS n'étaient jamais aussi
travaillés qu'ils auraient pu l'être, enregistrés entre deux tournées et sans
développement réel du travail de production, toujours recentrés sur le seul
effectif du groupe et sans apport extérieur...
L'argument positif, c'est
que la patte créative du noble guitariste taciturne est mieux présente ici
qu'auparavant, et malgré tout, Wind & Wuthering reste l'une de ses
expériences favorites. Son apport aux arrangements est plus remarquable que
jamais, avec des choses parfois très simples comme son utilisation de la
kalimba (piano à pouce africain) sur la partie calme de « Eleventh Earl of Mar
» qu'il a écrit lui-même, ainsi que les arpèges cristallins d'autoharpe sur le
deuxième couplet de « Your Own Special Way ». Les guitares héroïques décuplent
la puissance de nombre de morceaux, « In That Quiet Earth », « Eleventh Earl of
Mar » et le final lyrique de « All in a Mouse's Night ». Depuis 1973, son
niveau de guitare classique a sérieusement progressé, on peut l'entendre sur
l'introduction délicate de « Blood on the Rooftops », moins scolaire qu'un «
Horizons » avec le recul, et qui marque le début d'un gros travail développé en
solo par la suite.
« Blood on the Rooftops »,
dont le texte plus terre-à-terre est de Phil Collins (pas d'aventuriers
solitaires ni de farfadets ici, il s'agit de la connexion internationale par la
télévision), reste l'un des rares morceaux de l'album auquel Tony Banks ne
participe pas. Autrement, il est partout, vient rajouter une splendide partie
contemplative de piano Fender Rhodes au milieu de « Your Own Special Way », et
introduit l'album de façon magistrale avec le thème légèrement dissonant et
enchanteur d'« Eleventh Earl of Mar », plongée irrémédiable dans une Angleterre
"classique" et une tempête de mauvaise saison...
Il y a cet apport aux
claviers toujours unique, ces nappes de Mellotron et cette utilisation de l'ARP
Pro-Soloist à la manière d'un hautbois sur « Blood on the Rooftops », ces solos
farfelus et mélodiques comme sur la jam « In That Quiet Earth ». De l'orfèvre.
Sans oublier les trois chansons qu'il écrit seul (près de la moitié de l'album
!), le très dynamique et cartoonesque « All in a Mouse's Night », le pavé
épique « One for the Vine », et la ballade « Afterglow » au goût d'éternité,
héritière des « Christmas carols », chants de Noël qui rappellent que la
musique religieuse reste à la base des influences musicales de GENESIS. Ces
deux titres demeurent emblématiques de l'empreinte du groupe par le seul talent
de son claviériste : « Afterglow » sera jouée pendant de nombreuses années en
concert, et « One for the Vine », malgré son unité d'ensemble, provoque avec
son pont central inattendu un de ces chocs musicaux qui marque pour toute la
vie.
On écoute Wind &
Wuthering comme on lit une oeuvre de littérature anglaise romantique (celle de
Brontë ou une autre), les sens éveillés par la rudesse autant que la poésie.
Les éléments s'opposent, la tourmente qui se lève sur « Unquiet Slumber for the
Sleepers » et va crescendo pour éclater ensuite, la brise caressante de « Your
Own Special Way ». Chaque partie trouve son éclat, dans l'énergie comme la
finesse, les mélodies sont riches, transcendées par le chant de Collins. Prenez
encore le cas d'un morceau comme « Eleventh Earl of Mar » : les riffs ravageurs
de Rutherford, les breaks de batterie en tous sens, l'accalmie onirique, la
mélodie de synthétiseur plaintive sur piano déroulé en ternaire par dessus une
rythmique binaire... Qui fait encore de la musique comme ça aujourd'hui, et
aussi bien ? Une œuvre complexe, mais unique. Le plus bel album et la plus
belle pochette. What else ?
(Marco Stivell - Forces parallèles).
TRACKLIST:
A1 Eleventh
Earl Of Mar
A2 One For
The Vine
A3 Your Own
Special Way
A4 Wot
Gorilla?
B1 All In A
Mouse's Night
B2 Blood On
The Rooftops
B3 'Unquiet
Slumbers For The Sleepers...
B4 ...In
That Quiet Earth'
B5 Afterglow
B5 Afterglow
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