DEPECHE MODE - SOUNDS OF THE UNIVERSE (2009)
Mute - STUMM300 - 2 LP+1CD (Europe).
Il est loin, le temps des garçons coiffeurs. Plus personne
ne sourit quand les Anglais, la cinquantaine passée, sortent leur douzième
album : pertinent, humble et digne, d’une noirceur familière.
Depeche Mode revient aux affaires, et avec les trois
quinquas de Basildon, c’est une pluie de madeleines qui se déverse. De la
synthé-pop saccadée des débuts (1980) aux expérimentations gothico-indus grand
public des années 90, tout le monde a un jour succombé à cette artillerie
électronique de sueur et de sang. Il paraît que l’histoire se répète comme une
farce, mais Martin L. Gore et ses frères d’armes, contrairement à la bande à
Bono ou à Morrissey, ont, eux, toujours réussi à se régénérer et à faire de
leurs fêlures un matériau passionnant. Loin de l’autocaricature et revenus d’à
peu près toutes les avanies, ils livrent aujourd’hui avec Sounds of the
Universe un douzième album faisant plutôt profil bas, marqué par la noirceur et
l’inquiétude.
Avec le flippant single Wrong, en février dernier, Depeche
Mode fournissait déjà un indice sur ses préoccupations du moment : noir c’est
noir, mais avec cette fois-ci une distanciation dont il semblait incapable à
l’époque de Violator, en 1990 (la clé de voûte de sa discographie, qui
réconcilia à peu près toutes les tribus autour de sa rose purpurine). Wrong est
le cri répété ad lib d’un groupe parvenu à la maturité et à la fortune, mais
pas au repos. On a connu des singles plus putassiers : “Je suis né sous la
mauvaise étoile, dans la mauvaise maison, j’ai pris la mauvaise route…”, assène
un Dave Gahan remonté comme jamais. Dans le clip de ce nouveau classique de
Depeche Mode (signé Patrick Daughters), on voit un homme prisonnier d’une
voiture qui roule à l’envers, engoncé dans un masque de plastique. Ce Fantômas
postmoderne croise les regards stupéfaits de Martin L. Gore, Dave Gahan et
Andrew Fletcher avant un terrible clap de fin. Allusion au parcours d’un trio
qui a lui aussi connu de sérieux dévissages, dont le plus notable reste celui
de Gahan au début des années 90.
Pour mémoire, Dave Gahan a longtemps été la voix de son
maître Martin L. Gore, figure tutélaire autant qu’écrasante qui, depuis les
débuts, impose ses textes et ses compositions. Durant toutes ces années, il a
dû subir le paradoxe cruel et à peu près unique d’être le chanteur de l’un des
plus importants groupes en activité tout en demeurant le simple porteflingue des
sombres mondes de Gore. Les spécialistes estiment que les premiers grains
essuyés par le groupe datent du succès massif de Songs of Faith and Devotion,
en 1993.
Classique valse des egos, tournées gigantesques et perte des
repères, les pages de Depeche Mode se froissent. Gahan ouvre la boîte de
Pandore : il se paume dans les drogues dures, amer, jaloux, instrumentalisé par
un Gore muré dans sa tour d’ivoire. Le chanteur se transforme alors en junkie
fantomatique pas jojo, entouré d’une bande de loulous dignes de Bret Easton
Ellis. Pour couronner le tout, Andrew Fletcher, après avoir tenté de colmater
les gouffres du groupe, tombe à son tour dans la dépression. Quant à Alan
Wilder, il raccroche les gants pour se consacrer à son projet, Recoil.
Mais ce qui ne tue pas Depeche Mode le rend plus fort : le
groupe se relève et dote sa synthé- pop sous amphètes d’architectures
sophistiquées et rock dignes de péplums mystico-gothiques (Ultra, 1997). Et
Gore d’explorer encore et toujours ses thèmes de prédilection : la mort, la
rédemption, le mal, la domination, le péché, l’inceste – entre autres
joyeusetés. Gahan ronge toujours son frein mais il comprend qu’il doit
s’essayer à la composition, ce qu’il fera d’abord en solo (Paper Monsters en
2003 suivi de Hourglass en 2007), un déclic aux allures de sursaut vital
bigrement cathartique. Mais Depeche Mode, c’est surtout de la musique
industrielle pour tous et une spiritualité tout-terrain parfois mal comprises.
Il a peut-être fallu attendre que Johnny Cash gobe à son tour l’hostie (avec sa
relecture de Personal Jesus) pour que la vérité éclate auprès des plus
réticents : sous leurs oripeaux synthétiques, les Britanniques constituent l’un
des plus grands groupes de blues en activité.
Et dans le blues, précisément, la douleur est indissociable
de l’ironie. Tout au long de Sounds of the Universe, le monstre Depeche Mode
tourne en dérision son image de pleureuse rivée sur son malheur, même s’il
admet qu’une Fragile Tension le paralyse depuis des années. Ailleurs, sur Hole
to Feed et Miles away/The Truth Is, les sommets du disque signés Dave Gahan,
enfin émancipé, réconcilié avec Gore et surtout avec lui-même, le colosse aux
pieds d’argile rêve les yeux ouverts d’une sérénité bien hypothétique.
A l’instar de Björk, Depeche Mode a toujours su s’entourer
de la fine fleur électronique, à qui il confie régulièrement production ou
remixes en forme d’adoubement. Sur la version deluxe de Sounds of the Universe,
les Suédois Minilogue envoient ainsi à des hauteurs vertigineuses le splendide
gospel introït In Chains. Depeche Mode, loin de vampiriser la jeune génération,
dialogue en permanence avec elle, et transcende une fois de plus sa middle-age
crisis avec panache et modernité, au sommet de son electro- pop art déviante. (Les Inrocks).
TRACKLIST :
TRACKLIST :
A1 | In Chains | 6:53 | ||
A2 | Hole To Feed | 3:59 | ||
A3 | Wrong | 3:13 | ||
B1 | Fragile Tension | 4:09 | ||
B2 | Little Soul | 3:31 | ||
B3 | In Sympathy | 4:54 | ||
C1 | Peace | 4:29 | ||
C2 | Come Back | 5:15 | ||
C3 | Spacewalker | 1:53 | ||
C4 | Perfect | 4:33 | ||
D1 | Miles Away/The Truth Is | 4:14 | ||
D2 | Jezebel | 4:41 | ||
D3 | Corrupt | 5:02 | ||
D4 | Untitled | 0:41 | ||
CD-1 | In Chains | 6:53 | ||
CD-2 | Hole To Feed | 3:59 | ||
CD-3 | Wrong | 3:13 | ||
CD-4 | Fragile Tension | 4:09 | ||
CD-5 | Little Soul | 3:31 | ||
CD-6 | In Sympathy | 4:54 | ||
CD-7 | Peace | 4:29 | ||
CD-8 | Come Back | 5:15 | ||
CD-9 | Spacewalker | 1:53 | ||
CD-10 | Perfect | 4:33 | ||
CD-11 | Miles Away/The Truth Is | 4:14 | ||
CD-12 | Jezebel | 4:41 | ||
CD-13.1 | Corrupt | 8:58 | ||
CD-13.2 | Untitled | 0:41 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire