OASIS - DEFINITELY MAYBE (1994)
Big Brother - RKIDLP70 - (United Kingdom)
Big Brother - RKIDLP70 - (United Kingdom)
Definitely Maybe est sans
conteste l'album définitif de la britpop, aussi bien que l'un des disques phare
des années 90. Les médias spécialisés anglais, que l'on sait aussi prompts à
l'enthousiasme qu'à un emportement excessif et parfois irrationnel, ont
propulsé cette galette au rang de chef d'oeuvre inattaquable et quasi-intouchable
du rock britannique. En 2006, NME l'a placé numéro un au classement des
meilleurs albums anglais sur les cinquante dernières années, et le sondage
réalisé en 2008 pour HMV et Q Magazine l'a intronisé meilleur album de tous les
temps. Retour obligé sur un disque phénomène, à l'heure ou Dig Out Your Soul
pointe le bout de son nez et va tâcher une fois encore (en vain ?) d'égaler ce
glorieux modèle.
Dans le rock comme dans
d'autres domaines, le talent ne suffit pas toujours à ouvrir les portes du succès,
et ce sont souvent les plus forts en gueule, les plus obstinés et les plus
culottés qui emportent l'adhésion au détriment des autres prétendants à la
gloire. Or, Noel Gallagher est bien de
cette race de gagneurs : il possède tous les traits de caractère pré-cités à un
degré prodigieux, avec en prime une propension à l'arrogance que seul son
frangin est à même de lui envier. Lui, le mancunien prolo fauché, le cancre au
niveau scolaire peu reluisant, l'ex-roadie groupie des Inspiral Carpets, le
fanatique des Beatles, des Who et des Kinks, l'adorateur du jeu de guitare de
Johnny Marr, est persuadé que sa musique, celle qu'il rumine en solitaire
depuis plusieurs années, est la meilleure du monde. Quand il assiste à un
concert donné par le groupe de son frère Liam en 1991, il voit immédiatement
dans ces quatre énergumènes le terreau idéal pour faire germer les hits qu'il
garde en gestation. C'est donc sans aucun ménagement qu'il prend son frangin et
ses potes à partie : s'ils acceptent de l'incorporer dans leur formation et de
lui laisser les mains libres pour le songwriting et les solo de guitare, il
leur garantit de les amener aux sommets des charts britanniques et de faire de
The Rain, fraîchement rebaptisé Oasis, le meilleur groupe de rock d'Angleterre.
Rien que ça. Mais si de telles inepties n'engagent que ceux qui y croient, nul
doute que l'orgueil démesuré de l'aîné de la fratrie Gallagher a été au moins
aussi déterminant que son génie musical pour amener le combo de Manchester au
plus haut niveau.
Très vite, la formule
fonctionne à merveille et l'association de Noel et de Liam se révèle d'une
efficacité redoutable, le premier troussant des mélodies simples mais
accrocheuses, et le second les balançant à la tronche du public avec une verve
et un charisme peu communs. Sur scène, Oasis balaye tout sur son passage,
réinventant un rock concret et populaire en pillant sans vergogne ses glorieux
ancêtres des années 60. Avec n'importe quelle autre formation, la plèbe aurait
hurlé au plagiat et aurait lapidé les importuns sans attendre. Mais les
Gallagher sont si sûrs d'eux, si teigneux, si imbus de leur personne et de leur
musique, qu'ils parviennent instantanément à convertir même les plus
incrédules. A grands coups de médiators, de riffs à forte réverbération, de
larsens stridents et de vrombissements jouissifs, les instrumentistes
transportent littéralement un Liam tétanisant d'intensité, scotché à son micro
comme un alcoolique à sa bouteille, haranguant les foules avec une nonchalance
hypnotisante, déballant des textes simplissimes comme autant de paroles
d'Evangile avec une voix lancinante de rock et de nicotine, les transformant
instantanément en hymnes à la jeunesse et à la vie. Avec Oasis, l'Angleterre
retrouve en quelques mois le panache et l'assurance que les années 80 avaient
relégués au rang de vertus optionnelles.
Pour autant,
l'enregistrement de Definitely Maybe, débuté en 1994, n'est pas une partie de
plaisir. Deux séances d'enregistrements sont nécessaires (entrecoupées par une
courte virée défonce à Amsterdam) et se révèlent plus désastreuses l'une que
l'autre. Pas moins de trois producteurs se succèdent pour tenter d'éviter au
disque de virer au naufrage intégral. En cause, Noel Gallagher, encore et
toujours, tellement persuadé du bien fondé de ses idées qu'il en vient à
pourrir littéralement les séances d'enregistrement en imposant une
surexposition des guitares qui noie complètement la rythmique et le chant.
Après que Dave Batchelor, ex roadie (lui aussi) des Inspiral Carpets, et Mark
Coyle, producteur notamment des Stone Roses, aient jeté l'éponge de dépit, le
label Creation Records fait appel à Owen Morris pour tenter de sauver ce qui
peut encore l'être. C'est là que le hasard fait bien les choses. Non content de
rabattre son caquet à cette tête de con de Gallagher, Morris improvise une
nouvelle technique de production visant à atteindre un rendu proche du live :
le Brick Walling. Le résultat marque un précédent dans l'histoire du rock :
jamais un groupe n'avait réussi à sonner comme Oasis en studio, avec un timbre
de guitare ample d'une clarté impressionnante qui englobe complètement les
parties vocales. A sa sortie, le disque se place instantanément comme une
nouvelle référence dans le domaine de la production, et ce n'est pourtant pas
la moindre de ses qualités.
L'album est un alignement
ininterrompu de hits, marqués au fer rouge par une filiation pleinement assumée
avec les standards des années 60, The Beatles en tête. Le songwriting ne
s'embarrasse pas de poésie absconse : les textes sont concrets, directs, et
s'adressent à n'importe quel quidam. Les frères Gallagher croient dur comme fer
à leur talent et se voient déjà en haut de l'affiche, n'hésitant pas une seule
seconde à balancer bille en tête un "Rock N' Roll Star" qui représente
une véritable profession de foi, fustigeant les gens sérieux et raisonnables
qui les enjoignent à retrouver la raison : "People say it's just a waste
of time. When they said I
should feed my head, that to me was just a day in bed". Pour
Noel Gallagher, seule compte la rock'n'roll attitude : tabac, gin and tonic,
belles bagnoles, tout n'est que futilité, légèreté et dérision. "Is it worth the aggravation to find yourself a
job when there's nothing worth working for ? It's a crazy situation but all I
need are cigarettes and alcohol !" Pas de prise de tête
existentielle, pas de tendances mortifères ou de tentations destructrices : le
propos est limpide, la conduite sans équivoque, le message positif. Les frères
Gallagher croient en eux ("I need to be myself, I can't be no one
else"), en leur personne et en leur attitude. Ce qui passe à leur portée,
ils le prennent car ils ont tout fait pour l'obtenir, et tant pis pour les
autres. Si l'on ajoute à cela de nombreux clins d’oeil savoureux disséminés au
gré de leurs chansons (comme le yellow submarine repéré dans
"Supersonic"), on obtient sans coup férir le disque le plus grisant
et le plus libératoire des années 90.
Definitely Maybe est un
album intense, sans aucun temps mort, et qui ne diminue le volume des amplis
que sur le dernier acte acoustique, l'impayable "Married With
Children" qui allie une merveille de mélodie et un texte plein d'humour et
de férocité corrosive. C'est peut-être sur le plan du volume, justement, que
l'on pourrait faire un reproche à ce disque : tout se joue à l'énergie, et on a
parfois du mal à ne pas retrouver des redondances entre les titres, notamment
sur le plan rythmique. Hormis cela, c'est du tout bon, et chaque morceau pris
séparément peut se targuer de détenir un poignant potentiel d'addictivité, du
shoegaze "Columbia" à l'imparable "Supersonic", de
l'indolent "Shakermaker" au virevoltant "Bring It On Down",
de l'évident "Cigarettes And Alcohol" au colossal "Live
Forever". Liam n'a pas à se poser de question sur les éventuelles
inflexions à donner à sa voix : son timbre, inimitable, se suffit à lui-même.
Quant à Noel, il n'a qu'à dérouler ses partos de guitare en les bricolant un
peu au gré des émotions recherchées. Son schéma directeur est extrêmement
précis, et s'il se contente globalement d'utiliser les mêmes arrangements d'une
chanson à l'autre, il le fait avec suffisamment d'intelligence pour qu'on n'y
voie que du feu. Onze titres, onze tubes, dont l'assemblage final procure les
mêmes sensations que celles d'un best-of, bardé de temps forts, d'envolées
poignantes et de riffs ravageurs, mais en y ajoutant une parfaite homogénéité.
Vous vous posez la question d'acheter ou non Stop The Clocks, la compil d'Oasis
sortie en 2006 ? Tournez vous donc plutôt vers ce premier jet des frères Gallagher,
il se révèlera de bien meilleur tenue.
Bien sûr, certaines
personnes continueront à détester Oasis, et l'écoute de Definitely Maybe ne
changera rien à l'affaire. En prenant le parti de suivre les frères les plus
irascibles de l'histoire du rock dans leurs débuts, il faut mettre de côté son
éventuelle inimitié vis à vis de ces deux têtes à claque, et se laisser
convaincre par ceux qui ont pris le parti de brailler plus haut et plus fort
que les autres. C'est dans cet état d'esprit que l'Angleterre s'est soudain
réveillée un beau matin d'Août 1994, en se rendant compte que son rock était
encore loin d'être enterré. Le disque s'est littéralement arraché dans les
magasins, la passion l'a emporté sur les réticences, et de nombreux jeunes
rockeurs anglais ont vu dans cette galette une fabuleuse lueur d'espoir. La
Britpop venait de voir le jour, tout simplement. Rien que pour ça, Definitely
Maybe, le meilleur album des forts en gueule de Manchester, mérite les éloges
unanimes qu'il reçoit, encore aujourd'hui, même s'ils sont peut-être un
tantinet exagérés. (Nicolas).
TRACKLIST:
TRACKLIST:
A1 | Rock 'n' Roll Star | |
A2 | Shakermaker | |
A3 | Live Forever | |
B1 | Up In The Sky | |
B2 | Columbia | |
B3 | Sad Song | |
C1 | Supersonic | |
C2 | Bring It On Down | |
C3 | Cigarettes & Alcohol | |
D1 | Digsy's Dinner | |
D2 | Slide Away | |
D3 | Married With Children |
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